Les Incontournables

Contemporanéités de l'art soutient la jeune photographie

Les + Récents

Lieux d’exposition

Philippe Hortala – Octopus’s Garden

Du 24 octobre au 7 décembre 2024 – Vernissage jeudi 24 octobre de 17h à 20h

 Victimes d’une antique malédiction, les peintres de fleurs ont toujours eu mauvaise presse. Davantage que le goût doucement qu’on suspecte chez eux, la collusion trop voyante qui les lie au monde végétal justifie seule l’opprobre qui pèse sur eux. C’est que le beau entretient avec l’arithmétique des liens immémoriaux. Symétrie, propositions, rythmes et algorithmes forment l’alphabet qui compose l’esthétique. Les muses sont filles des mathématiques.

Les herbes, hélas, sont souvent folles. Avec elles, le sont les pétales, les pistils, les feuilles et les radicelles, les fruits et les légumes. Le zoologue d’Arcy Thompson (1860-1948), qui s’est efforcé de mettre la nature en équation1, s’y est cassé les dents. Ses principes paraissaient pourtant infaillibles, ses lois sans exception. 

De la corne du bélier d’Argaki à la coquille du Lamellaria perspicua, aucun objet, aucune forme de la nature ne semblait devoir échapper au schéma de croissance de sa spirale « équiangle ». Les champs d’application des mathématiques semblaient pouvoir s’étendre à l’infini, ce jusqu’à englober les formes de la vie.

Confronté aux plantes et aux mollusques, d’Arcy Thompson s’était incliné : « cette spirale caractérisée le plus couramment les parties dunes des organismes, coquille ou défense, corne ou griffe, manifestement constituée par addition successive d’éléments permanents, et que nous ne retrouvons pas dans les parties molles, charnues, et en croissance active, des tissus frais, malléables dont la forme est essentiellement déterminée à chaque instant par les forces actives auxquelles ils sont soumis ».²

Le verdict était sans appel : aucune loi mathématique, et par là, aucun canon de beauté, aucun ordre de proportion jamais ne devrait s’appliquer aux « parties molles » et autres formes « en croissance active ». De ce constat, les artistes ont su tirer les leçons.

Mondrian, le premier, a banni de son art les formes instables et non mathématiques. Graduellement, pour manquer ses distances avec un monde végétal à l’ordre si précaire, il a supprimé, de son oeuvre et de sa vie, la couleur verte qui le symbolisait. Ainsi, après lui, ont procédé Carl André et Sol Lewitt, sacrifiant aux molochs des beautés arithmétiques l’aléa des formes improbables. Et pourtant, même s’ils flattent notre entendement, gonflent notre orgueil, on s’ennuie bien vite dans les jardins à la française. 

Alors, subrepticement, les idolâtres de l’équerre, les dévots de l’équation se sont ébattus hors des sentiers que les cordeaux balisent. Mondrian a peint des tulipes inavouables. En 1969, Carl André a créé Métarmorphosis piece : une oeuvre aléatoire faite d’éléments de fils irrégulièrement tordus, assemblés « au petit bonheur », pour former une liane sinueuse. Sol Lewitt après avoir été, des années durant, le champion du cube et du papier millimétré, peint aujourd’hui des gouaches qui ressemblent à des champs d’herbes folles qui ondulent sous le vent.

A ces reniements, fruits d’engagements exclusifs, Hortala préfère l’exercice de la dialectique. Il conçoit ses tableaux comme autant d’arènes où s’affrontent l’ordre et le chaos, le squelette géométrique des choses et l’énergie d’un vitalisme païen. Tout commence par une trame régulière, par le quadrillage d’une culture intensive. (Hortala ébauche ses tableaux en leur imposant le plus régulier des carroyages).

La Limace & Le Géomètre, 1996
Didier Ottinger (conservateur au Centre Pompidou, Paris)
Publié dans le catalogue de l’exposition au Musée des Beaux-Arts Denys Puech à Rodez, du 28 janvier au 15 mai 1996.

Puis les cases ainsi formées s’affaissent ou se soulèvent sous l’effet de glissements, de poussées telluriques. Alors la terre s’anime, les plantes bourgeonnent, s’enivrent bientôt de sève printanière. Les herbes s’allongent, dessinent des arabesques, les fanes des poireaux se courbent de langueur. Le potager explose ; Dionysos en est l’artificier. Les fils à linge, tendus au-dessus du chaos, ne suffisent jamais à ramener l’espace créé à l’ordre et au repos. 

La passion de Philippe Hortala pour Naples et sa région est à interpréter à l’aune et son goût pour les géologies instables. Nul doute qu’il ait vu dans le tellurisme violent qui bouleversa la structure hypodamienne d’Herculanum un de ces accès du vitalisme qu’il traque aujourd’hui dans les entrelacs potagers. 

Il y a quelques années, Hortala emblématisait déjà la lutte de l’ordre et du chaos. Ce combat prenait alors la forme de l’affrontement, devenu mythologique ³, d’un poulpe et d’une langouste. Parmi les symboles, les réminiscences archéologiques, iconographiques dont Hortala a doté cette joute, il a omis d’y voir le choc de l’informe et du quantifiable, de la science mathématique et de l’irrationnel biologique.

Une remarque de d’Arcy Thompson suffirait à résumer le sens du combat de poulpe et de la langouste : « L’escargot est en spirale, mais pas la limace »4. 

A peine transposé, cet aphorisme d’une portée incommensurable décrit la langouste, bardée de cornes, d’appendices griffus, armée d’une carapace, comme la « créature mathématique » par excellence. Elle est une vivante équation.

 Elle est la démonstration parfaite d’une croissance algébrique. Logiquement, dans l’ordre des symboles et de la beauté, son ennemie jurée est la créature la plus informe, la plus flasque, celle qui n’est que tissus « frais et malléables » : la pieuvre. Le poulpe est à la langouste ce que la tulipe est aux tableaux de Mondrian.

La méthode hortalienne, qui joue de l’affrontement de la géométrie et de l’énergie virale, ressemble en bien des points à celle qu’appliqua Eva Hesse pour subvertir le minimalisme. 

L’élève surdouée de Josef Albers, l’amie, la voisine d’atelier de Sol Lewitt avait, avec la même apparente froideur expérimentale, saccagé les cubes parfaits de Donald Judd, gangréné les modèles sériels de Sol Lewitt ou Carl André en les dotant d’appendices flasques, en les noyant sous l’entrelac érotique de fils enchevêtrés. aussi, c’est l’ordre cristallin des mathématiques qui cède aux assauts du désordre vital.

Les formes que crée Eva Hesse renvoient sans équivoque aux symboles les plus universels de la fécondité. Ishtar (1965), Addendum (1967) métamorphosent les progressions géométriques de Judd en autant d’Artémis d’Éphèse.

La série récente de tableaux d’Hortala, dont l’iconographie se résume à l’alignement de mottes de terre que percent d’impudiques tuteurs, répond étonnamment à ces oeuvres d’Eva Hesse5. Qu’un Éros vitalise soit au coeur du tellurisme, de l’ardeur végétal des tableaux d’Hortala, c’est ce que nous disent les indices érotiques qu’il parsème dans ses oeuvres. Là, ce sont des fraises exagérément languides ou d’obscènes cucurbitacées, ailleurs les dessous fleuris qu’une muse proprète transforme en bannière du haut d’un fil à linge.

La prophétie du Duchamp de voir l’érotisme s’ajouter aux innombrables »ismes » du siècle est en passe de se réaliser. Hortala veut y croire, lui qui réinterprète le mythe fondateur des images d’Occident à l’aune de ses obsessions érotiques. Dans les plus ambitieuses de ses compositions, il ne recule pas devant la substitution d’un vulgaire drap de lit aux suaires, mandylion et autres Véronique dans lesquels se perd le souvenir de notre pictural « droit de reproduction ». 

La représentation figurée a trouvé sa légitimité dans les récits légendaires d’impressions miraculeuses : certificat d’existence d’une divinité faite homme, invitations à user des images pour atteindre l’au-delà. Comme les images chrétiennes, les peintures mathématiques sont dotées de vertus anagogiques. 

Comme le précisait le patriarche Nicéphore, l’hommage rendu à l’icône « remonte à son prototype ». Quelle que soit la dimension « concrète » dont les peintres géométriques veulent lester leurs oeuvres, lorsque celles-ci sortent des brouillards théosophiques, c’est pour entrer dans les limbes de la mystique pythagoricienne.

Comme Courbet, qui ne pouvait se résoudre à peindre les anges qu’il n’avait jamais vus, Hortala a toujours prêché pour la saveur des choses terrestres. C’est à cette obsession de ne pas voir le monde au-delà de ses manifestations charnelles et sensuelles que nous devons les débauches de confiseries et de fruits sirupeux dont, des années durant, il a saturé notre regard. Comme Courbet encore, son alter ego en rusticité provocatrice, 

Hortala a fini par parer le monde des chatoiements d’une sexualité polymorphe. Pour le peintre d’Ornans, c’était les courbes d’un paysage qui devenaient féminines, c’était la moindre infractuosité d’une roche ou d’une vallée qui se transformait en L’origine du monde. Hortala, pour lui répondre, fait d’un drap de lit, symbole d’un érotisme stéréotypé, sa nouvelle Véronique. En d’infinies gloses de ce manifeste d’indécence, il accomplit la métamorphose de palettes de peintres en images obscènes.

Ses peintures se veulent des prières paillardes rendues au culte d’un Dionysos gaulois.

1- D’Arcy Thompson, Forme et croissance, rééd. Paris, Seuil/CNRS, 1994. (Première édition, 1917)

2- Ibid.., p.194

3- Philippe Hortala, Le combat du poulpe et de la Langouste, Toulouse, éd. Arpap, 1992.

4. D’Arcy Thompson, op. cit.., p.194.

5- Un observateur scrupuleux notera l’inversion formelle qui fait des «mottes» d’Hortala le double masculin d’Ishtar ou d’Addendum. Chez Eva Hesse, les excroissanses métaphorisent le lait nourricier qui s’épanche d’autant de seins, là où Hortala perce ses mottes de tiges phalloïdes.

Galerie Henri Chartier, 3 Rue Auguste Comte, Lyon 2ème Tél : 06 70 74 80 92

Blaise Adilon, 155 chemin des broussatières 69126 Brindas,

Tous les samedis et dimanches, 13h 19h et sur rendez-vous

Je partage !

Pour suivre l’actualité du sud de la France tout simplement !

error: Le contenu est protégé !
×