Noël Dolla – Peintures 2018-2024
Du 28 mars au 24 mai 2025 – Vernissage vendredi 28 mars 2025, à partir de 18h
« C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. »
Arthur Rimbaud, le Dormeur du val
Accompagnant cette nouvelle exposition de Noël Dolla, reprenant la longue carrière de l’artiste notamment autour des tarlatanes, le carton de son invitation en est une parfaite introduction. Réalisé par Loupio Dolla, son fils, qui est aussi plasticien, il nous convie au sujet principal qui en émane, nous parlant, toujours de manière subtile, abrupte ou poétique, de peinture.
Comme un rébus qui serait dédié à cet artiste né en 1945 à Nice et co-fondateur du mouvement Supports/Surfaces, l’image présente ce qui peut se référer au médium de la peinture, sans jamais la nommer… On y voit une œuvre encadrée et retournée, une pièce roulée, des outils de production, un niveau pour vérifier les linéarités et droitures, une équerre, une clef servant à resserrer les toiles sur les châssis, un tablier maculé, un dessin posé au sol qui confère également l’échelle de l’ensemble, puis une chaise…
Comme un élément abandonné ou symbolisant l’attente, l’absence ou le départ… comme une forme de mobilier un peu rococo, un peu champêtre… une douce symbolique du Sud – elle serait d’ailleurs de celles qui siègent au musée Matisse – qui accompagne la manière dont se définit Noël Dolla, « un rigoriste baroque ».
Sans montrer frontalement d’œuvre picturale, l’ensemble parle de peinture et des nombreuses recherches de sa carrière. De ces tarlatanes immenses qui se déploient jusqu’à plus de six mètres de long ou de large, tant leur mode de monstration est libre et peut même se présenter en volume au sol. De ces plis et replis qui occupent l’espace en fonction de la nécessité des lieux, de ces toiles plus denses en matière aux titres faisant référence aux violences du monde, de ces dessins plus doux sur papier japonais… tout évoque les notions d’impression, d’illustration, de leurre ou d’empreinte et la question de la représentation.
Depuis la fin des années 1960, Noël Dolla s’est inscrit dans cette réflexion qui, avec Supports/Surfaces, mais aussi BMPT ou d’autres groupes ou individus, refusait de reproduire pour donner à voir différemment. L’histoire de l’art n’en a, pour autant, jamais été absente, galvanisée par une passion pour l’expérimentation.
À l’exemple de ces tarlatanes, élaborées depuis près de 50 ans par la même technique et révélant toujours leur lot d’indéfinis qui « permet de développer de grandes surfaces dans la légèreté ». À savoir, chaque toile est pliée, trempée, dépliée, observée, puis dans un second temps, repliée, retrempée, re-dépliée et à nouveau observée.
Aérienne et surprenante, la peinture ne renvoie qu’à elle-même et à la réalité de sa conception. Ses tonalités demeurent douces, presque diffuses, résurgences lointaines de couleurs primaires. L’œuvre impose ses propres limites et se fait « peinture » par ce presque rien. Noël Dolla précise : « Il n’y a pas de narration définie, car la peinture ne raconte rien d’autre qu’elle-même et, au final, ce que je peins, n’est pas ce que je montre. »
Tout en se positionnant en un acte totalement dévoué au médium, le travail se révèle dans une pensée conceptuelle réalisée en dehors du regard. L’exposition joue bien sur ces différents facteurs que sont les grands formats face aux petits opus, le léger au lourd, le dur au plus souple…
Ainsi, en opposition, les peintures de la série Sniper 14 mai 2018 se donnent à voir dans une appétence esthétique qui jouerait même avec le concept de fleurs, mais présente des formes éclatées, propulsées comme peuvent l’être les corps en temps de guerre. L’artiste y a ajouté un texte où il mêle des références de tonalités aux suffocations ou aux trépas des corps. L’éclat se confronte à l’effroi, l’horizon au cristallin vitreux…
Il nous remémore ce poème d’Arthur Rimbaud datant d’octobre 1870, Le Dormeur du val, à l’apparence de paix, à la douce évocation de rivière, de soleil et de montagne, avant que la mort d’un jeune soldat ne soit signifiée. Des dessins de fer ou des peintures sur le silence de la fumée réfèrent, quant à elles, aux bombes atomiques dans des formats carrés qui troublent par des volutes flirtant avec la volupté.
La peinture de Noël Dolla convoque parfois un sentiment d’inquiétude et une mise en danger. Il se l’impose en octroyant toujours une place au hasard et à cette confrontation aux très grandes échelles dans lesquelles chacun peut se perdre. Il s’octroie de longs temps de production ou attaque littéralement certaines toiles en les travaillant suspendu au-dessus d’elles et défigurant ou maltraitant ses amas de couleurs. Il redéfinit le positionnement des corps, celui de l’artiste, mais aussi celui du visiteur face à l’œuvre, et nous intime aux sujets de la présence et de l’absence.
En parlant du temps et du manque, l’exposition est également un pudique hommage à ses amis et comparses récemment disparus, notamment Ben, Louis Cane ou André-Pierre Arnal… Le travail s’immisce dans cet interstice entre la réalisation d’une œuvre très précise et délicate, face à la nécessité d’un lâcher-prise. D’un accompagnement que l’on ferait avec lui par la centaine de pièces dévoilées, dont beaucoup sont des inédits, présentées au sol ou au mur, transformant les angles et les perspectives, scandant l’espace du lieu et ses quelque six mètres de hauteur.
Noël Dolla ne souhaite pas délivrer de message spécifique, mais par les trois immenses mats dorés à la feuille d’or, positionnés devant la galerie et surélevés par un tissu blanc, tel un mouchoir immaculé, il sous-tend nombre de possibilités… Peut-être une demande de trêve durant ces temps troubles… une nécessité d’élévation pour prendre de la hauteur… ou juste une invitation à admirer le rectiligne des lignes et la franchise des tissus… à regarder les œuvres… L’aboutissement étant « de toujours mettre la peinture dans son état de visibilité maximale ».
Marie Maertens
Ceysson & Bénétière, 10 rue des Aciéries 42000 Saint-Étienne Tél : 04 77 33 28 93
- Arts Plastiques
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