Max Charvolen – Espaces en déplacements – Philippe Favier, La Diorite
Du 12 juin au 26 juillet 2025 – Vernissage jeudi 12 juin à partir de 18h
Espaces en déplacements
fragments d’une cartographie de nos espaces de vie
« Je donne à voir ce qui est » Max Charvolen
Les premières impressions que suscitent les oeuvres de Max Charvolen sont souvent du même ordre : le spectateur se trouve face à un objet énigmatique dont il sent confusément qu’il lui est familier. Commence alors la formulation de toutes sortes d’hypothèses.
Depuis longtemps, en notant les réactions du public lors de présentations du travail de Max, et en parcourant les textes qui lui ont été consacrés, j’ai été frappé d’abord par la diversité des approches, puis par la récurrence d’une impression largement partagée : quelque chose, dans ces pièces, fait naître des images de transfert, de déplacement, de voyage.
Je reviendrai plus loin sur la diversité des approches. Je préfère commencer par ce qui induit l’impression de déplacement. À vrai dire, j’ai fini par trouver cela presque évident puisque le déplacement est une problématique centrale de la démarche et des procédures de Charvolen. Je me propose donc d’exposer cela brièvement, en collant le plus possible au travail.
Dès la fin des années 60, Max Charvolen travaille sur la relation entre œuvre – disons « espace plastique » ou « espace symbolique » – et lieu dans lequel l’œuvre est réalisée et/ou montrée – disons « espace physique » « de vie » « de travail » ou « de monstration ». C’est une période où il transforme la toile par découpes, respectant ou non le rectangle initial, le fragmentant, déplaçant les fragments, et explorant la diversité des mises au regard de la pièce achevée et des effets induits par la position du spectateur.
À la fin des années 70, la démarche se radicalise : ce n’est plus une œuvre que l’artiste installe, une fois achevée, dans un espace quelconque. C’est une œuvre qu’il construit en la modelant sur un espace physique choisi. Après avoir découpé son tissu en fragments dont le format est tel qu’on puisse les saisir, les tenir et les manipuler des deux mains sans difficulté, il colle ces fragments sur les lieux (ou objets) qu’il veut « donner à voir ».
La forme de la toile achevée dépend donc de l’espace sur lequel elle est réalisée qui devient – littéralement – un modèle. Son format naît des relations du corps de l’artiste à cet espace: plus ou moins agissant, se déplaçant plus ou moins, pour « prendre mesure ». La coloration des fragments peut assumer des fonctions diverses. La diversité des couleurs permet, par exemple de différencier les divers éléments ou plans du modèle traité.
Ce recouvrement par collage une fois réalisé, l’œuvre est laissée en place pendant le temps de séchage, phase que l’artiste peut faire durer plus ou moins longtemps, jusqu’à plusieurs années dans certains cas. La toile en cours de réalisation continue alors sa transformation en raison de l’usage qui est fait de l’espace sur lequel elle a été réalisée: traces de passages, poussières, détritus…
À la fin de la période de séchage, la toile est arrachée de son support, je laisse imaginer l’effort physique déployé lors de cette opération. Elle emporte avec elle le souvenir du volume sur lequel elle a été formée, et, parfois des éléments du bâti. On y verra une peau, une mue, une dépouille, que Charvolen veut présenter le plus à plat possible.
Comme chacun l’a sans doute expérimenté sur le volume d’un cube la mise à plat implique que certaines arêtes du volume soient découpées. On pourra y voir le classique passage des trois dimensions de l’espace physique aux deux dimensions de l’espace plastique. Lorsque la toile achevée est exposée, se posent les questions de la monstration, parfois de façon très inhabituelle, en raison de dimensions hors normes et de formats inattendus.
On voit en quoi démarche et procédures peuvent induire l’idée de déplacement. Déplacements du spectateur pour considérer l’objet, déplacements de l’artiste pour le réaliser, déplacements des fragments, déplacement de ces peaux de lieux, depuis l’habitat sur lequel elles ont été constituées jusqu’à l’espace dans lequel on les montre. Un mot encore sur ce sujet: Charvolen ne réalise pas ses œuvres dans un atelier personnel. Chaque lieu qu’il investit devient son atelier. Charvolen est un artiste nomade.
À cause de quels indices ressent-on que cette curieuse forme s’apparente, en quelque façon, à des espaces que nous avons connus, dans lesquels nous vivons, dans lesquels nous nous déplaçons ? Le choix de l’artiste est sans doute déterminant: il choisit des lieux nodaux, des lieux de passages, escaliers, portes, fenêtres: ce qui est, là où nous nous tenons et par où nous passons.
La démarche de Charvolen – unique – creuse les problématiques de l’approche analytique et critique des années 60 pour traiter des questions qui traversent toute l’histoire de l’art : que représenter du monde dans lequel nous vivons, de nos espaces et de nos objets ? Comment le représenter ? Dans quels lieux et dans quels contextes ? Comment passer des trois dimensions de l’espace physique, aux deux dimensions de l’espace plastique ?
Comment justifier les formats que nous employons et les formes que nous leur donnons ? Comment rendre compte du monde, par la peinture ? Comment le penser ? Comment donner sens et raison à notre approche sensible du monde ? Peut-on remotiver – rendre sens – au symbole en le reconstruisant / reconstituant sur ce qu’il symbolise d’abord : l’espace physique dans lequel nous évoluons ?
J’évoquais la diversité des approches et des hypothèses concernant le travail de Charvolen. Il me semble utile d’en préciser l’une des raisons. Le travail de Charvolen a intéressé des experts de toutes sortes de disciplines. À côté des historiens de l’art, on rencontre des mathématiciens et des historiens des sciences, des poètes et des romanciers, des préhistoriens, des philosophes, des sémioticiens…
La diversité des approches s’explique ainsi au moins en partie par la diversité des disciplines. Jean Arrouye la suppose aussi du côté de la personnalité du regardeur.
Il note que « si les œuvres de Max Charvolen font toujours une si forte impression, peut-être est-ce qu’elles émeuvent des zones troubles de l’affectivité profonde. Il n’en va pas nécessairement ainsi pour tout spectateur, mais les images inventées (au double sens, archéologique, de mettre à jour ce qui attendait d’être découvert et, inventif, de créer) par Max Charvolen invitent toujours à des dérives imaginaires. »
Comment résister ? Comment ne pas ajouter quelques citations piquées ici ou là : l’esquisse d’un florilège.
Je dis « florilège »… il est intéressant de voir comment les métaphores liées au fleurs s’installent dans des réflexions apparemment éloignées les unes des autres.
Mathématicien, René Lozi, alors qu’il analyse les transferts d’information à l’œuvre entre le modèle et la pièce réalisée, avance, au tournant d’un paragraphe : « Quand j’ai essayé de saisir ce qui fait, depuis quarante ans l’unité des productions de Max Charvolen dans leur continuité, au-delà du procédé opératoire évident (…) une métaphore s’est patiemment installée dans mon esprit :
la reproduction de l’iris des marais, (…) par ses graines qui peuvent flotter durant un an sur l’eau tout en gardant leur pouvoir germinatif, et par ses rhizomes qui font un travail souterrain avant de resurgir. On est attiré par la fleur, on la regarde, on l’admire parfois, on peut essayer de la décrire, de la décomposer, de la sécher dans un herbier ; les rhizomes souterrains nous échappent, ils font resurgir d’autres fleurs. »
À quoi fait écho un texte de Michel Butor qui commence par un déroutant : « Lorsque le puissant égyptien de l’ancien empire désirait emmener avec lui de l’autre côté de la mort tous ses familiers, il les appliquait en bas-relief ou en peinture sur les parois de sa tombe, en s’efforçant de les rendre aussi présents que possible, donc aussi identifiables dans leur attitude ou leur profession. »
Philippe Favier, La Diorite
l y a plus d’une vingtaine d’année, à ma demande, un ami du terroir avait déniché sur les prémices d’un coteau forézien le quart de vigne dont je rêvais.
Une semaine suffit pour rassembler les sept Samouraïs à la serpette que cette aventure œnologique séduisait. Si nos années d’études ou d’expériences confondues dépassaient largement l’âge de cette vigne sexagénaire, nos connaissances en agriculture étaient introuvables. La bonne volonté n’a jamais réussi à combler l’ignorance, mais elle a quelque chose d’attendrissant qui ne peut laisser insensibles les belles âmes.
Ainsi, tout fraîchement naufragés dans ce désert des matins bleus, quelle ne fût pas nôtre surprise, le jour de notre premier rendez-vous sur place, d’apercevoir au sommet de ces dunes foréziennes si joliment adoucies par un fun opportun : JACKY LOGËL…, notre petit prince, un brin barbu, avec son minuscule accent alsacien et son cœur immense !
S’il ne put faire de nous des vignerons, il eut la patience de nous apprendre les premiers gestes… et les suivants ! Et surtout, en nous adoubant, il nous évita le ridicule qui menaçait et nous ouvrit des portes indispensables. Notamment celle de la grange de DANIEL MONDON, éleveur aux cheveux ventilés, qui nous accueillit avec nos cuves nos pompes et son éternel sourire, à la fois tendre et dubitatif.
La générosité simple et directe avec laquelle ces deux couples, nous traitèrent, fit un grand bien aux egocentrés que nous étions parfois. C’est grâce à eux que pendant quelques années nous avons produit ce CHÂTEAU ZIZOULAPUCE qui réussit, malgré son nom ridicule à nous laisser de si gouleyants souvenirs.
La fraternité – comme la sororité – fonctionne surtout en temps de guerre ou de révolution; nous étions à une époque plutôt paisible, et notre groupe de mercenaires un brin bancal s’effilocha comme il se doit pour e n f i n d i s p a r a î t re . . . S a n s d o u t e c e r t a i n s f u re n t – i l s i n f l u e n c é s p a r l’inexorable pourridié qui rongeait secrètement notre petit lopin.Il est clair que nous n’avons pas été à la hauteur de la confiance de nos parrains qui pourtant nous ont permis de créer au moins deux millésimes remarquables, notamment le 98 qui fut – excusez du peu – apprécié et remarqué par les prestigieux Chave et Graillot.
Depuis, la vigne s’est endormie et rêve avec les lapins; DANIEL MONDON – j’aime à imaginer que notre équipée de bras cassés y fut pour quelque chose – a troqué son troupeau contre quelques tonneaux et il est aujourd’hui reconnu, à juste titre, comme un vigneron vraiment imaginatif et visionnaire.
Philippe Favier Châteaudouble. Mai 2025
Ceysson & Bénétière, 10 rue des Aciéries 42000 Saint-Étienne Tél : 04 77 33 28 93
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