Blaise Adilon – L’herbier du futur
Du 12 septembre au 19 octobre 2024 – Vernissage jeudi 12 septembre de 17h à 20h
2 lieux 2 vernissages
jeudi 12 septembre, galerie Henri Chartier
samedi 21 septembre, chez Blaise Adilon 13h – 20h30
Deuxième exposition personnelle de l’artiste Blaise Adilon à la galerie, suite à celle réalisée en 2021, Blaise Adilon, Mémoires Troublées sous le commissariat de Thierry Raspail.
Pour cet évènement, Blaise Adilon exposera notamment deux séries inédites, L’herbier du futur et Cérémonie(s) dans deux espaces, à la galerie rue Auguste Comte et dans sa maison de Brindas où il vit aujourd’hui.
Cette maison a été construite par son père, le peintre et architecte Georges Adilon en 1960/1970 et est inscrite au patrimoine du XXe siècle.
Robert Pujade, critique et historien de la photographie, nous fait l’honneur d’écrire un texte sur les derniers travaux de Blaise Adilon.
Cérémonies de la vue intérieure
L’autoportrait de Blaise Adilon est bel et bien né d’une photographie. Pourtant quelques ressemblances avec la pose, l’obscurité et la lumière des Rembrandt peints par lui-même nous invitent à considérer cette image – et par-là aussi toute son oeuvre – dans un registre artistique où la photographie s’abstient de capturer fidèlement le monde visible.
Il en résulte que cet autoportrait, situé en première ligne des séries exposées, nous instruit sur le mode de représentation des visions de l’artiste. Plus qu’une représentation, il s’agit en fait d’une traduction dans un langage plastique des formes imaginaires de son regard intérieur. Ainsi, on remarquera sur son visage le traitement inégal des yeux : l’oeil gauche est à la fois net et réaliste, l’oeil droit est caché par un masque noir. Cette différence entre une visée à l’air libre et cette même visée aveuglée symbolise l’opposition entre la vue et la vision, entre l’homme et l’artiste.
Comment, alors, l’image photographique qui n’est que prise de vue, et par là-même vouée à la reproduction du visible, en arrive-t-elle à retranscrire une vision intérieure ? Il est évident que les réalisations de Blaise Adilon outrepassent les performances propres à l’image photographique et que son travail évolue dans une démarche plasticienne.
En effet, la technique qu’il emploie consiste à utiliser la surface de l’épreuve photographique comme s’il s’agissait d’une matière malléable, au même titre que le plâtre en sculpture ou la détrempe en peinture. Il intervient sur la superficie des sujets photographiés en modifiant à sa guise leur positionnement dans l’espace aussi bien que le contour de leurs formes jusqu’à ce qu’il obtienne une image correspondant à sa vision du monde. C’est ainsi que son autoportrait, faisant fi d’une ressemblance physique, nous montre un autre lui-même, méconnaissable en apparence, mais au plus près de son monde intérieur. Il nous plonge alors de plain-pied dans la source invisible de l’inspiration qui préside à chacune de ses séries.
A première vue, les trois séries de Blaise Adilon présentées
dans deux espaces, à la galerie Henri Chartier et dans la maison où vit l’artiste, paraissent dissemblables à n’en juger que par les sujets traités. D’autre part, les titres qui les concernent sont énigmatiques : L’Herbier du futur présente des fragments de fleurs, Mémoires troublées des images obscures d’événements non précisés et Cérémonie(s) des effigies issues de fétiches africains.
Si l’on ne s’en tient qu’à ce que l’on voit au premier coup d’oeil, rien n’apparente ces oeuvres les unes aux autres à l’exception d’un détail aisément remarquable : chacune des séries est régie par une prééminence du fond sur la forme. Dans chaque tableau – la taille et la somptuosité des images justifient cette dénomination – les sujets apparaissent ou, plus exactement, surgissent d’un fond uniforme avec un niveau de violence, différent selon les séries, qui mérite la plus grande attention.
La blancheur totale du fond dans l’herbier supprime tout contexte d’apparition des plantes en accusant la vivacité des couleurs florales à ce point que couleurs et graphismes deviennent les sujets principaux du tableau. La teinte rouge des pétales d’un coquelicot traversée par les lignes noires des tiges et des étamines n’est plus qu’une composition abstraite. Cet effet pictural parcourt l’ensemble de la série lors même qu’il n’apparait plus que des morceaux de fleurs déchiquetées. Tout se passe comme si la réalité naturelle des plantes photographiées était transposée dans un espace de vision qui n’a d’expression que dans l’art.
A l’inverse de cette série, le fond des Mémoires troublées est une ombre très obscure diversement colorisée par endroit de teintes vineuses, rosâtres ou vers de gris. Les sujets qu’on pourrait assimiler à des scènes de guerre ne surgissent pas : légèrement occultés par le fond, ils se révèlent peu à peu, obligeant à une observation soutenue. Ces apparitions en voie d’extinction semblent avoir été prises dans une salle de cinéma et l’on se prend à deviner de quel film elles pourraient être extraites.
Le fond noir de la série Cérémonie(s) est éclairé par des jets de lumière qui confèrent, grâce à un effet de relief, une présence forte à l’apparition des sujets. Dans chaque tableau en effet, des visages et des corps de statuettes, regroupées comme en un charnier, semblent sortir de l’image pour venir frapper l’oeil du spectateur. Cette émergence de la nuit intégrale est un face à face avec des figures de l’Hadès.
La prééminence du fond, sa capacité à mettre en évidence les modes d’apparition particuliers des sujets initialement photographiés, définit la méthode créatrice de Blaise Adilon et cela dans chacune des séries. L’image finale n’est plus une vue photographique mais sa modification aux fins de passer de la perception simple à l’approche méticuleuse d’une vision.
Mais au-delà de cette identité formelle propre à chacune des séries, est-il possible d’identifier un lien qui unit les choix thématiques qu’elles représentent ?
En apparence le fil conducteur des séries semble instable puisqu’à ne se fier qu’à leur titre la thématique oscille entre le futur et le passé : comme son nom l’indique, L’herbier du futur se situe dans une autre temporalité que les deux autres séries consacrées à la mémoire. Mais à y regarder de près, les fleurs de l’herbier sont des compositions fragmentées, identiques en cela à des bribes d’un passé qui fait retour. Le futur désigne ici ce qu’il en est des réalités passées quant elles ne sont plus que des souvenirs et qu’elles ne deviennent visibles que par une vue de l’esprit.
Les Mémoires troublées vont encore plus loin dans cette recherche du passé puisqu’elles impliquent directement le spectateur des tableaux à pénétrer dans ses propres souvenirs. Les images de guerre nous plongent dans des passages de films anciens que nous pensons avoir vus. L’obscurité du tableau nous oblige à rentrer au plus profond de l’image et à nous retrouver ainsi à l’intérieur de nous-même, comme si l’artiste nous prêtait son pouvoir de vision.
Il en va de même pour les statuettes processionnaires de la série Cérémonie(s) qui nous renvoient à l’universelle expérience de la mort d’autrui, mais pas seulement. La série fait aussi allusion à cette variété de cérémonie que constitue le développement de l’image photographique, premier élément de chaque tableau.
Les trois séries complémentaires de Blaise Adilon sont ainsi une invitation à découvrir notre conscience intime du temps. Au moyen de matériaux plastiques de sa composition, il installe l’art contemporain au registre des pensées spirituelles.
Robert PUJADE
Galerie Henri Chartier, 3 Rue Auguste Comte, Lyon 2ème Tél : 06 70 74 80 92
Blaise Adilon, 155 chemin des broussatières 69126 Brindas,
Tous les samedis et dimanches, 13h 19h et sur rendez-vous
- Arts Plastiques
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