Sako Yachiyo – Marabout-bout-de-ficelle
Du 2 novembre au 9 décembre 2023 – Vernissage jeudi 2 novembre de 18 h à 20h
Dans la plus pure tradition de l’ukiyo-e (Le monde flottant), Sako Yachiyo dessine au pinceau le quotidien, son environnement, ses obsessions et les gens qu’elle croise ou ceux qui l’entourent.
À la différence près que son européanisation – et donc sa double culture franco-japonaise – lui autorise à parfois créer des ombres à ses sujets qui annulent le flottant à son monde. Sako Yachiyo dessine sur papier Japon libre, de formats différents, au pinceau et à l’encre de chine, bien entendu. La couleur est exclue – si ce n’est celle de ses papiers. Ce tracé en noir et blanc privilégié est le plus court chemin entre l’esprit et le papier.
Disposant d’une sorte de bibliothèque de dessins, Sako Yachiyo peut en sélectionner quelques-uns, créer une composition originale avec un thème ou bien hétéroclite, en les assemblant sur une toile blanche tendue sur chassis.
Elle opère alors à un collage – formel et mental – afin de créer une scène marabout-bout-de-ficelle où l’humour est souvent présent. Tout au moins, avec beaucoup d’esprit. Grâce au geste très maîtrisé du tracé par Sako Yachiyo, les dessins/pictogrammes sont tous à la même échelle, que ce soit un paysage, un personnage, un animal ou un objet. Les différents éléments de ces collages ne subissent donc aucun changement d’échelle.
La proportion entre une tasse de thé et un chat est rigoureusement exacte, bien qu’ils soient dessinés à des temporalités parfois éloignées. Si par hasard, une assiette de nouilles est plus grande, elle sera collée en bas de la composition, comme si elle était en premier plan, dans le sens cinématographique. D’ailleurs, les dessins de Sako Yachiyo fonctionnent comme des sketches de cinéma, des essais de tournage.
Ses compositions sont de véritables tranches de vie, assimilables à des scènes storyboardées de Yasujirô Ozu pour le Japon ou bien Éric Rohmer en France. Avec cette même rigueur esthétique commune à ces deux cinéastes qui mettent aussi en scène le quotidien. Cette même fausse – mais vraie – simplicité, cette même évidence.
Au-delà de ces considérations formelles, on peut observer une singularité dans les dessins de Sako Yachiyo. Elle n’est pas décelable immédiatement, mais on perçoit une certaine étrangeté au sein de ces représentations qui peuvent sembler être juste une élémentaire figuration du ce-que-je-vois.
À bien y regarder, la présence d’un élément étrange, de forme non humaine ou hybride, mais toujours grotesque et caricatural, est systématique. Au Japon on nomme cet être bizarre un Yôkai (prononcer « yo-caille ») : une créature surnaturelle, représentation des emmerdements de la vie quotidienne (verre qui se brise, chute du téléphone portable, boîte d’allumette ouverte à l’envers, etc.) ou bien de faits inhabituels qui surviennent sans prévenir (porte ou fenêtre qui s’ouvre toute seule, objet posé en haut d’une armoire qui tombe sans qu’on ne comprenne pourquoi, radio qui se met en route sans qu’on y ait touchée, etc.)
Les yôkais sont souvent malicieux et en réalité très sympathiques – bien que parfois malfaisants, mais jamais véritablement nuisibles. Au pire, ils peuvent effrayer mais jamais mettre en danger. Ce sont des empêcheurs de tourner en rond. Ils ont pour fonction d’avertir que la vie n’est pas un long fleuve tranquille.
L’artiste peut donc représenter les yôkais selon sa propre imagination, sans limite – bien qu’il y ait des prototypes liés à de très anciennes représentations dans les estampes ou les mangas. À partir de celles-ci, ils peuvent être modifiés à volonté. Ils sont aussi le symbole de la création même, de l’imagination en matière artistique. Sako Yachiyo en est bien consciente.
Elle dépeint ses yôkais de différentes manière : un être avec deux petites oreilles de souris en haut du front et une capuche qui crache du thé, observé par un chat (animal le plus proche du yôkai) ; un fantôme à peu près identique à celui que nous représentons dans notre culture (forme blanche avec juste deux yeux/trous) ; un nuage noir avec une expression insolente au-dessus d’un ordinateur, augurant d’une future visite chez un réparateur ; un personnage humain dont le visage est celui d’un masque caricatural du théâtre gigaku, prenant le thé avec une dame tournant les yeux vers lui ; un tétard à gros yeux ; une sorte de panda dégénéré engloutissant une forme humaine ; etc.
À la sortie de l’atelier de Sako Yachiyo, un petit dessin est épinglé au mur : une tasse de thé renversée dont le contenu se répand sous une forme oblongue. En seconde lecture, c’est un yôkai malicieux et irrévérencieux qui tire la langue, matérialisant ce mini tracas de la vie quotidienne en se moquant de celui qui en a été victime. Une des traductions possibles de yôkai est « esprit d’une chose » ou « chose étrange ».
Dans une composition vue dans une exposition précédente, Sako Yachiyo avait dessiné l’église d’Auvers-sur-Oise peinte par Vincent van Gogh. Elle est bien entendu déformée comme le peintre hollandais l’a fait, réduite à un dessin en noir et blanc fidèle mais caricatural. L’église de van Gogh est figurée en yôkai bienveillant. Car les yôkai bienveillants existent aussi – la vie n’est pas aussi simple qu’on le voudrait. Celui-ci est certainement le protecteur artistique de Sako Yachiyo. La figure tutélaire de van Gogh, rassurante, que l’on retrouve à plusieurs reprises au sein de ses compositions que l’on peut s’amuser à chercher.
PhD
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