Mehdi-Georges Lahlou – La conférence des palmiers
Du 23 novembre 2023 au 27 janvier 2024 – Vernissage mercredi 22 novembre à 19h00
Franco-Marocain d’origine espagnole,
Mehdi-Georges Lahlou cultive une richesse intellectuelle et artistique puissante qui joue avec les symboles de son identité hybride pour ouvrir la voie à la coexistence nécessaire et pacifique des différences de chacun.
Identités de genre, religion, sexualité, marginalité, pouvoir ont ainsi longtemps formé un corpus cohérent de thématiques contemporaines qui, à travers une grande variété de médiums et de pratiques, ont orienté le regardeur vers une réflexion critique, voire même politique, des stéréotypes culturels et identitaires que chacun subit ou engendre.
Aujourd’hui, Mehdi-Georges Lahlou revisite sa pratique pour l’ancrer plus encore dans une dimension universelle, servant ainsi de porte-voix aux invisibles « humains et non humains ».
Son exposition au Parvis, intitulée La Conférence des Palmiers, s’inscrit dans un cycle de recherches récentes pour lesquelles l’artiste investit les notions de mémoires, d’archives et de conflits géopolitiques passés et actuels, poussant plus loin encore sa traversée des grands enjeux civilisationnels qui marquent notre temps.
Au centre de son projet se trouve le voyage méconnu des plantes, provoqué par les effets décriés des colonisations occidentales puis de la mondialisation. Que l’on songe, par exemple, à l’importance prise par le manioc en Afrique, à celle du maïs en Orient, plus tard Europe, à l’extension du bananier ou à l’omniprésence des palmiers… En 600 ans d’appropriation coloniales, les migrations vivrières ont, partout dans le monde, radicalement transformé les paysages naturels, les cultures humaines. Elles ont servi à l’approvisionnement des colonies pour finir par devenir des outils de gouvernance dans une perspective d’occupation territoriale permanente.
Au Parvis, Mehdi-Georges Lahlou entame donc une conversation avec le regardeur sur la façon dont ladite « nature sauvage » a été, depuis les temps coloniaux, prise en main, domptée, instrumentalisée afin d’en tirer divers profits. Ses oeuvres (vidéos, pièce sonore, sculptures, peintures, fusains, céramiques…), qui interagissant les unes avec les autres, décrivent et dénoncent avec force cette fascination occidentale pour « l’ailleurs » et son spectacle exotique à portée de main, ainsi que les ravages qu’elle opère sur la biodiversité au profit d’une croissance toujours plus vorace.
Bananier, qui accueille le visiteur dès l’entrée de l’exposition, joue justement sur cette notion d’exotisme.
Dans le centre d’art d’un blanc immaculé, l’autoportrait de l’artiste à la crinière de Méduse sculptée de verres colorés, emprunte à l’imagerie coloniale du « noble sauvage » largement représentée durant la première moitié du XXe siècle par la marque de boisson chocolatée Banania, ainsi que par l’icône Joséphine Baker.
Placée au centre de l’espace, l’installation La conférence des palmiers, qui donne son nom à l’exposition, rend hommage au célèbre recueil de poèmes mystiques Persan « La conférence des oiseaux » écrit par le poète soufi Farid Al-Din Attar en 1177.
Là, une vingtaine de palmiers en céramique écimés, noirs, comme brûlés par le feu, racontent les ravages de l’humanité quand, partout sur la planète, des incendies volontaires dévastent ces extraordinaires réservoirs de la biodiversité que sont les forêts. Laissant alors place à des monocultures intensives engendrant pollution, déforestation et déplacements de populations.
En véritables légendes de l’espèce végétale, présents depuis 80 millions d’année sur notre planète, les palmiers de Mehdi-Georges Lahlou symbolisent notre humanité qui se confronte aux questions cruciales et environnementales actuelles.
Une fascinante installation vidéo et sonore intitulée Herbier, présentée sur 7 écrans, déroule le récit tapageur du rapport de l’humain au végétal. Sept portraits de plantes exotiques, interprétées par la comédienne Ghita Serraj, ont été choisies pour leur origine d’extraction et les multiples pérégrinations qu’elles ont subies pour finir par transformer et intégrer nos habitudes alimentaires et nos pratiques agricoles.
Ghita Serraj incarne chacune d’entre elles avec une voix différente. Et dans un même écho dénonce le commerce des plantes autochtones, leur exploitation massive, la déforestation liée aux cultures intensives, l’éradication des croyances et des savoirs à protéger, l’érotisation et l’exotisation des corps indigènes.
Porteuse d’espoir, l’exposition La conférence des palmiers est également un formidable plaidoyer pour le vivant et l’avenir de nos sociétés.
Les paradis enfouis est une oeuvre vidéo sonore conçue à six mains. Le texte écrit par Simon Njami, écrivain, curateur et historien de l’art africain contemporain et son interprétation composée et chantée par la suisso-algérienne Flèche Love viennent rejoindre la pensée résiliente de Mehdi-Georges Lahlou.
Au coeur d’un dispositif, semblable à un «leftlover» de bord de mer, un écran vidéo supporte une vague perpétuelle. D’emblée, cette dernière nous ramène aux tragédies passés et récentes, aux corps avalés et retenus par les mers et les océans, aux stratégies coupables des pays européens jaloux de leurs frontières. Mais dans un second élan, l’oeuvre, captivante et enveloppante, nous enjoint à restaurer cette profonde alliance qui depuis les temps immémoriaux a uni les hommes aux forces du vivant.
Notons que ces diverses collaborations artistiques, dont Mehdi-Georges Lahlou est coutumier, démontrent une fois de plus à quel point il est profondément porté par des valeurs d’altérité, considérant et accueillant l’autre, l’artiste, comme une autre expression de lui-même.
Par son exigence éthique, La conférence des palmiers incite également le regardeur à plus de justice et respect envers l’ensemble du vivant.
Aux murs, d’immenses fusains se déploient.
Les titres des oeuvres, souvent à double sens, évoquent une vision dystopique intensifiée par la matière noire et charbonneuse du fusain.
Nature Morte, par exemple révèle l’image fantôme d’un palmier mort, ravagé par la déforestation, tout en évoquant ce qui dans l’imaginaire collectif ramène à l’ailleurs et à l’exotisme. Tandis que les peintures chargées de fusain Fonds paradisiaques invoquent un paradis perdu, symbolisé par les strelitzias, ces fleurs communément appelées «Oiseaux de Paradis» également arborées par les sculptures totémiques éponymes Birds of Paradise, Totem Pole , composées d’une succession de portraits de l’artiste présentés tête-bêche et qui disent bien la pensée rhizomique de Mehdi- Georges Lahlou. Tandis qu’au fond du centre d’art, achevant le parcours promis par l’artiste, Conférence of the palm trees, propose au regardeur une plongée organique au coeur de la plante. Telle une expérience immersive qui nous permet d’explorer la beauté du règne végétal.
L’exposition La conférence des palmiers se présente ainsi comme une invitation à réinventer ce rapport séculaire que l’homme entretient avec son environnement humain et non humain. Sans doute, l’artiste considère-t-il d’ailleurs qu’il n’y a d’autre manière d’être au monde. D’autre solution pour l’avenir de la planète et des êtres vivants qu’elle abrite. Aussi, travaille-t-il un corpus de sujets qui sonnent comme une réconciliation entre les règnes, cherchant alors à atteindre une sorte d’harmonie collective et écologique. Passé, présent, personnel, universel, douceur, violence, toutes les strates temporelles, sociétales et sensibles sont sollicitées.
Au coeur de l’exposition, le regardeur traversera certainement des zones de turbulences et, sans doute, trouvera-t-il quelques dénouements. Mais qu’il le sache, à ce jeu-là il aura nécessairement une part à prendre.
Magali Gentet
Commissaire de l’exposition & Responsable du centre d’art contemporain du Parvis
Le Parvis centre d’art, Parvis CAC – centre Méridien route de Pau, 65420 Ibos Tél : 05.62.90.60.82
Ouverts du mardi au samedi de 11h à 13h et de 14 à 18H.
- Arts Plastiques
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