Jordi Isern
Du 14 novembre 2024 au 4 janvier 2025 – Vernissage jeudi 14 novembre à 18 h 30
Le réalisme abstrait de Jordi Isern
Le titre de ce texte n’est là qu’à titre d’indication, pour expliquer d’entrée qu’il s’agit d’un art authentique et très profond. Tout art est abstrait (il en a été ainsi tout au long de l’histoire, sauf en certaines périodes de décadence, jusqu’à la Renaissance) et, en principe, toute abstraction est celle d’une chose réelle. En outre, nous savons que pour pénétrer dans ce qu’il peut y avoir au fond de la réalité – avant d’arriver au vide ultime – nous devons affronter la superficie.
Cependant quelqu’un a dit que la profondeur était à la superficie. Nous ne pouvons nous empêcher de regarder avec les yeux, jusqu’à ce qu’arrive le moment de le faire avec tout le corps et l’âme – et je continue à utiliser les mots pour que nous nous comprenions et non pas pour les comprendre, comme disait le maître Carles Riba.
Ce qui importe c’est que je veux faire référence à l’œuvre d’un artiste qui sait regarder et voir, et qui transforme cette capacité en acte de peindre – le peintre ne regarde pas et ne voit pas avant de peindre, au contraire tout se fait simultanément. Le résultat sont ces peintures dans lesquelles l’auteur concentre son attention sur le corps humain, qui acquiert un sens symbolique profond.
Toutes les oeuvres forment un ensemble, par le thème, par son traitement, et lorsque nous nous enfonçons dans leur contemplation et que nous passons de l’une à l’autre, nous constatons leurs différences et leur autonomie. Pour qualifier cet art, nous pouvons parler de sensibilité, mais on ne peut pas faire de l’art avec seulement de la sensibilité. Nous pouvons également parler de sentiment, bien que, parfois, utiliser ce mot, comme beaucoup d’autres, créé des confusions.
Et nous pourrions parler de différentes dispositions, mais j’aimerais mieux dire que Jordi Isern, parce que, comme vous le savez, tel est le nom de cet artiste extraordinaire, ouvre tout entière sa capacité de créer.
Ce qu’il est, ce qu’il sait et ce qu’il ignore consciemment, la partie qui émerge de l’iceberg qui est la psyché, et la partie immergée, tout cela entre en jeu et agit dans le processus de création. Je ne saurais dire guère plus. Plus un art est profond et révélateur, plus il est difficile d’en parler, c’est une chose que sait parfaitement le critique. J’ai contemplé souvent toutes ces peintures, et chaque fois je me suis senti plongé dans un monde qui était l’unique monde. Je crois que c’est le but que doit atteindre l’artiste : que l’oeuvre qu’il crée devienne la réalité entière.
Il va sans dire qu’il s’agit d’une entreprise difficile, mais lorsque nous contemplons l’oeuvre, quand nous nous y enfonçons, elle semble naturelle, presque facile. Nous nous trouvons face à un monde ambigu. L’ambiguïté est nécessaire dans l’art le meilleur. La réalité, les choses, ne peuvent être claires et distinguables si on les observe d’un regard pénétrant.
Ces peintures nous parlent de corps; mais le corps, vu avec la profondeur dont je parlais, est un symbole du cosmos. Le cosmos lui-même est un corps vivant, une mystérieuse relation unit corps et cosmos et arrive à les fondre. Ces corps peints par Jordi Isern ont une gamme chromatique intentionnellement limitée : ocres, bruns, gris.
Les formes émergent d’un fond obscur qui pourrait nous faire penser au chaos primitif d’où naît la vie. Nous voyons quelques signes, des graphismes et même quelques mots, parfois illisibles, comme gravés dans les corps. Nous centrons notre attention sur le travail que tout cela suppose et nous imaginons le temps, la patience, la maîtrise de la technique et, il faut le souligner, le savoir-faire avec lequel Jordi Isern a réalisé ces oeuvres.
Tout est immergé dans le mystère : de ces corps et de ces ouvres se dégage une sorte d’éclat : les ocres, les bruns et les gris se superposent ou, dans certains cas, sont envahis par le blanc, mais l’obscurité y pénètre également, comme pour rappeler que la vie est quelque chose de précaire, que l’être humain, comme n’importe quel être vivant, a quelque chose de fantomatique. Sans perdre – néanmoins – son caractère vivant, fulgurant et merveilleux, que l’artiste a su traduire.
J. Corredor-Matheos
Galerie Le Confort des Étranges 33 rue des Polinaires 31000 Toulouse
Ouvertures: jeudi de 17 à 20h vendredi-samedi: 16 à 20h. Tél: 06 63 69 29 52. et sur rendez-vous.
- Arts Plastiques
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