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Frank Stella – Étoile parmi les étoiles

Du 5 juillet au 27 septembre 2024 – Vernissage vendredi 5 juillet à 18h. 
Brunch samedi 6 juillet de 12h à 18h. 

4 mai 2024. « Frank Stella est mort ».
Il est 23h30 et je reçois ce sms d’un ami peintre.
Je regarde la page du New York Times qui annonce la disparition de celui qu’on a l’habitude de baptiser le précurseur du minimalisme. Le grand quotidien américain titre « master of reinvention ». Je reste bouleversée, car je suis justement en train d’écrire ce texte, débuté quelques jours plus tôt, qui a trait à l’exposition des dernières oeuvres de l’artiste, cet été, au Domaine de Panéry. Je prends conscience que l’exposition devient hommage. Et ce texte, à cheval entre l’avant et l’après, une sorte de passage.

Je recherche des images de ses Black Paintings qui ont perturbé l’histoire de l’art.

En particulier ce tableau vibrant d’une grille de lignes noires et blanches intitulé Die Fahne Hoch ! en référence à un chant glaçant du parti Nazi. Une abstraction, oui, mais avec un sens vertigineux qui n’a ici nul besoin de se déployer en figuration. 

Le récit découle naturellement de la forme tant celle-ci est puissante. Il s’agit d’un véritable tableau d’histoire mais complètement abstrait. Du jamais-vu. Voici la révolution artistique de Frank Stella au début des années 1960.

Par la suite, sa démarche ne cessera jamais de défier les possibilités d’extension de la planéité originelle de la toile. Car pour l’artiste, un tableau n’était pas une image, c’était un « working space » : le lieu de toutes les transformations et recherches possibles, le lieu d’accomplissement de la pensée, de la construction symbolique d’une vision du monde ; osons ici évoquer, à quelques siècles d’écart, la cosa mentale de Léonard de Vinci.

 La recherche picturale de Stella a étendu au maximum l’essentialité de la forme en partant d’un point originel : le carré de Josef Albers, le cône de Jean Hélion, le papier découpé de Matisse, l’illusionnisme de Vélasquez, la perspective projetée de Tintoret…

Évidemment, citer tous ces aînés révolutionnaires peut tenir de l’inventaire à la Prévert.

Cependant, dans le cas de Stella, cette énumération est loin d’être un cliché. Car sa vision artistique n’a jamais cessé de questionner le sens du modernisme et de l’avantgarde en peinture, mais aussi d’interroger le pouvoir du formalisme. « Formalisme » étant d’ailleurs un mot sujet à controverse tant l’histoire de l’art du 20e siècle a tenté de le combattre au profit du conceptuel, de l’idée, voire du documentaire et de la sociologie, plus récemment. 

La question de la puissance formelle reste néanmoins le grand sujet de Stella, qui comme Richard Serra dans le domaine de la sculpture (mort un mois avant lui), a réussi à faire évoluer la notion de planéité vers des territoires tridimensionnels absolument innovants. La disparition presque concomitante de ces deux monstres sacrés semble sonner la fin d’une époque.

Là où Stella a fait oeuvre, c’est lorsqu’il a manié la forme avec une telle audace qu’il est probablement le seul à avoir réussi à tirer le fil de ses lignes et de son grillage minimaliste pour arriver à ce qu’il appelle, in fine, le « maximalisme ». Un peu comme le primitivisme italien donna lieu, deux siècles plus tard, aux extravagances baroques.

Certains y ont vu un changement de style. C’est faux. Il s’agit d’une continuité absolue en termes de « réinvention » perpétuelle.

Les oeuvres des dernières années, présentées dans l’exposition, en sont une démonstration magistrale. Regardons en premier l’oeuvre sur papier tirée de la série Illustrations after El Lissitzky’s « Had Gadya » datée de 1985. Elle pourrait presque s’apparenter à un manifeste tant elle se rapporte ouvertement à l’artiste de l’avant-garde russe El Lissitzky, rendant un hommage direct à sa maîtrise de la sobriété géométrique tout en la mettant en mouvement dans une animation de superposition colorée évoquantla rythmique de la chanson traditionnelle de la Pâque juive, « Had Gadya ». 

Il y introduit le motif de la vague, qu’il reprendra dans sa célèbre série inspirée du roman de Herman Melville, Moby-Dick, dans laquelle il mêle avec brio différentes techniques de gravures ainsi que des collages et des rehauts colorés à la main. Ces agrégats de formes semblent une réponse baroque abstraite à la révolution du cubisme figuratif de Paul Cézanne.

Réponse qui est portée à son acmé dans l’immense tableau Karpathenburg II de 1996, impressionnante symphonie picturale où les formes géométriques s’émancipent du tableau qui semble être, à lui tout seul, une synthèse de toutes les avant-gardes précédentes, que ce soit le cubisme, l’expressionnisme abstrait, l’abstraction géométrique, lyrique etc… 

Puis, à partir des années 2000, sa peinture se mua en reliefs d’une fascinante complexité, agrégeant l’acier, la fibre de verre, l’aluminium et le plastique thermoformé (RPT). Leurs volutes multicolores s’enchevêtrant, s’envolant presque. Membranes intérieures d’un moteur de voiture ou d’un organisme vivant ? On tourne autour. Trophées de peinture. Trophées de musique pour la série inspirée des Sonata de Scarlatti. Trophées de pêche aussi. 

Leurs titres évoquant, pour certaines, des rivières et des lacs de Gaspésie, région du Québec où l’artiste aimait séjourner. La peinture, ici devenue sculpture, est un territoire imaginaire qui synthétise le monde, dans l’infiniment grand ou l’infiniment petit, aux variations multiples. 

Pour l’artiste, elle est fondamentalement une question d’espace qui peut s’élargir à l’infini. À l’intérieur de ces oeuvres, on remarque aussi le motif de l’étoile, de plus en plus présent. Idée de l’univers en expansion ?

Notamment pour la monumentale sculpture étoilée en teck. Stella, ne l’oublions pas, signifie étoile. Minimaliste, constructiviste, baroque, expressionniste, illusionniste, maximaliste… Stella, sans frontière artistique, si ce n’est sa fidélité à la peinture. Il fut absolument futuriste et a rejoint aujourd’hui les étoiles.

Julie Chaizemartin

Domaine de Panéry, route d’Uzès 30210 Pouzilhac Tél : 04 66 37 04 44

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