Bettina Rheims – Pourquoi m’as-tu abandonnée ?
Du 15 juin au 29 septembre 2024 – Vernissage vendredi 14 juin à 18h30
Le Musée de la Photographie Charles Nègre présente pour la première fois à Nice une exposition consacrée à Bettina Rheims, portraitiste et photographe de mode de renommée internationale qui développe depuis plus de quarante ans une œuvre personnelle aux multiples facettes.
Au début des années 1990, Bettina Rheims travaille en France et aux Etats-Unis où elle collabore avec des magazines internationaux et enchaîne les commandes : campagnes pour la mode et la publicité, portraits de célébrités et images de promotion pour le cinéma. Au milieu de toutes ces commandes, certaines images se distinguent pour devenir des œuvres d’art. Elles s’inscrivent si précisément dans son travail personnel que Bettina Rheims décide de les extraire de leur contexte afin de les regrouper au fur et à mesure pour créer la série emblématique Pourquoi m’as-tu abandonnée ? dont font partie les 29 œuvres exposées.
Portraitiste brillante, Bettina Rheims a l’art de révéler la personnalité et les émotions de celles qu’elle photographie. Elle nous livre des images suggestives, troublantes et touchantes. Ses héroïnes, célèbres ou non, toujours photographiées avec bienveillance, s’abandonnent sans filtre dans l’objectif.
Les femmes et la photographie
Les femmes sont omniprésentes dans l’art mais le plus souvent comme modèles ou muses. Un décalage persiste entre la prédominance des sujets féminins souvent dénudés, dans les collections des musées, et la sous-représentation des artistes féminins. La photographie a joué un rôle libérateur pour les femmes qui s’en sont emparée dès l’origine pour en faire un moyen d’expression privilégié et revendiquer un regard différent de celui des hommes.
Parmi les plus célèbres figurent Anna Atkins pionnière de la photographie, Julia Margaret Cameron incontournable du pictorialisme, Dora Maar et ses photomontages surréalistes, Germaine Krull figure de la Nouvelle vision, Imogen Cunningham, Berenice Abbott, Dorothea Lange et sa photographie documentaire, Sabine Weiss qui incarne la photographie humaniste, Diane Arbus avec ses portraits audacieux. Certaines ont marqué le genre du portrait et de la mode : Louise Dahl-Wolfe, Lee Miller, Ellen von Unwerth, Sarah Moon ou Annie Leibovitz.
De même que la peinture et la sculpture, la photographie a fait du modèle féminin un de ses sujets majeurs. Aux femmes idéalisées ou indirectement suggestives de l’art classique, la photographie a rapidement substitué une femme objet, souvent charnelle et symbolique. Quand la création de l’œuvre d’art implique une certaine dose de sensualité artistique, il est compliqué de photographier une femme, de surcroît dénudée, sans la sexualiser. Comment sortir du male gaze, concept forgé par la critique de cinéma Laura Mulvey en 1975, pour dénoncer le regard masculin caricatural sur les femmes qui a triomphé pendant des décennies dans les expositions et les magazines ? Un modèle incarné entre autres par Helmut Newton et ses photographies de femmes objets.
Dans les années 80 et 90 où le regard masculin règne sur la photographie de mode, Bettina Rheims veut en finir avec le voyeurisme et la fétichisation. Ses images cassent les codes de la photographie de portrait et de mode éclatant et redéfinissant le glamour, la beauté et l’érotisme. Bettina Rheims est une actrice des années de la libération des corps, de la chair déshabillée jusqu’au grain de la peau mais elle entend révéler ce qu’il y a sous la peau de ses modèles. Même si sa photographie est souvent qualifiée de sulfureuse, elle paraît plutôt chaste à l’ère des réseaux sociaux où les barrières de l’intime explosent et la chair s’exhibe sans limite.
La photographie de Bettina Rheims
Bettina Rheims avoue admirer l’œuvre de la photographe américaine Diane Arbus mais ses influences se situent plutôt dans la sculpture et la peinture. Son père, commissaire-priseur, expert en art et académicien, l’a initiée très jeune à l’art dans les musées et les cimetières où se trouvaient les plus belles sculptures. En peinture, ce serait la Renaissance, les intérieurs flamands, la peinture du XIXe siècle en Autriche, Klimt, Schiele et certaines séries de Gauguin ou de Lautrec.
La démarche artistique de Bettina Rheims est inclassable. Portrait, mode, politique, contemporaine, engagée, sa photographie use des genres pour se créer un univers singulier. La représentation et la construction de la féminité sont ses sujets de prédilection.
La femme photographiée par Bettina Rheims s’expose et se délivre, déconstruisant son image comme elle découvre son corps. Une représentation d’une beauté décalée par des mises en scène et des scénarios parfaitement maitrisés. L’artiste aime raconter des histoires à travers ses images. Elle compose des situations complexes ou symboliques avec un talent particulier pour la narration visuelle.
Ses modèles sont souvent photographiés en intérieur, dans son studio, parfois des chambres d’hôtel. Elle les place au cœur d’une mise en scène, comme Madonna en 1994, dans une chambre d’hôtel où la chanteuse est photographiée au-delà des conventions jusqu’à donner parfois l’impression d’être malmenée. Bettina Rheims tisse des histoires au gré de ses compositions.
Ses photographies traduisent l’ambivalence entre la fragilité du corps féminin parfois photographié en contre-plongée, allongé, nu, mince, et sa puissance incarnée par le désir sexuel. C’est un jeu permanent et un équilibre entre la vulnérabilité des modèles et leurs attitudes d’amazones ou d’héroïnes puissantes. Elle photographie des femmes à la fois fortes et fragiles, mais dans le contrôle d’elles-mêmes. Devant comme derrière l’objectif, la femme trouve sa place et utilise l’appareil photo tant comme un outil de dénonciation qu’un vecteur d’indépendance et d’affirmation. C’est un travail qu’elle qualifie de féministe comme la majeure partie de son œuvre.
Le corps féminin, qu’il soit nu ou habillé, est le sujet central de son travail. Ce n’est pas la nudité qui l’intéresse mais ce qui se trouve en dessous, ce que cela provoque sur les personnes qui regardent et y projettent leurs propres fantasmes. Bettina Rheims est également l’une des premières photographes à avoir capturé l’émergence de personnes transgenres bien avant que le sujet ne passe au premier plan.
Galerie du musée de la photographie Charles Nègre
1 Place Pierre Gautier – 06300 Nice
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