Maryna Dzerkalnaya – Lointain reflet
Du 14 octobre au 4 novembre 2023 – Vernissage samedi 14 octobre à partir de 18h
Que reste-t-il dans les miroirs des maisons quand les habitants ont dû fuir ? Fuir pour s’éloigner des tourments, de la guerre, de la mort. Les images se dérobent, s’éclipsent, ne reviendront jamais plus. Le passé s’est figé sur les étagères, sur les murs – quand il n’a pas été anéanti. Sur les miroirs, rien qui ne s’accroche, aucune mémoire. Sur leur surface ricochent les fracas.
Aucune arme ne peut faire taire la vie. L’art permet de tenir debout, de témoigner de son existence, d’avancer en humanité. L’armée russe est entrée en Ukraine le 24 février 2022. Maryna Dzerkalnaya s’est retirée du champ tragique avec ses quatre fils dans les semaines qui ont suivi.
Accueillie dans le Lot, elle peint des galaxies lointaines, imaginaires et, sans doute, inhabitées. Peindre pour prendre ses distances à des années-lumière des conflits humains ? Elle a choisi pour nom d’artiste « dzerkalnaya » qui signifie reflet en ukrainien (« dzerkalo », miroir).
Comment présente-t-elle son art ?
« Ma façon personnelle de peindre est l’utilisation non seulement de toiles et de peintures en deux dimensions, mais aussi de nombreux matériaux différents qui donnent du relief, par exemple : papier de verre, tissu, papier, feuille, dorure, pâte de texture, sables, résine époxy, bitume, maille et bien plus encore. Mon leitmotiv est de laisser libre cours à mon imagination, en transformant la peinture traditionnelle en une peinture plus volumineuse, abstraite et colorée. L’une de mes intentions est de transposer l’abstrait et le monde réel, en donnant à chacun la possibilité de percevoir une émotion et une association personnelle ».
Ses toiles transportent dans un au-delà. Elles offrent un refuge, un abri, un asile. Nous changeons d’horizon, d’orbite, de regard. Nous échappons un temps à la pesanteur du monde. Mais le miroir ne voile rien de ce qui est derrière lui. Lointain reflet ne s’accommode pas de la tranquillité de l’instant. Peindre devient un instinct de survie pour Maryna Dzerkalnaya.
Elle nous projette dans un avenir fragile, incertain et malgré tout beau. Sur le champ de ses toiles aucune silhouette humaine ne promène son ombre. L’échelle du temps du cosmos n’est pas la même que celle de l’espèce humaine. Là où nous pensons en millénaires, l’univers déroule ses millions d’années. Ne sommes-nous pas dérisoires ? Est-ce notre petitesse qui nous saisit face à ces toiles silencieuses et si bruyantes ?
Créer, c’est croire en l’avenir, semer de l’espérance en l’humain ; savoir que des oreilles écouteront, que des yeux verront, que le temps n’effacera aucune trace du passage. Créer ne nécessite pas un outillage performant, une technologie innovante, une maîtrise à toute épreuve. Il suffit d’un outil simple, dit Varlam Chalamov[1] :
Avant qu’il ne devienne primitif,
Notre outil est d’abord simple :
Une main de papier bon marché,
Un crayon improvisé _
C’est tout ce qui est nécessaire
Pour bâtir un quelconque château,
En vérité aérien,
Sur notre sort commun.
Tout ce qu’il a fallu à Dante
Pour élever les portes
Qui ouvrent sur l’enfer
Et donnent sur la glace.
Du papier et de quoi écrire ou dessiner, peindre et … une femme, un homme qui décide d’y aller, de s’avancer vers l’ouvrage, de s’élancer dans la courbure du temps et de l’espace. Maryna Dzerkalnaya s’immerge dans ses toiles, planète qui tourne autour de quelle étoile ? Un abstrait lumineux nous irradie depuis des constellations lointaines jusqu’aux plaines agricoles ukrainiennes. Nous sommes pris dans l’engrenage du temps et dans l’espoir d’un apaisement.
Alain de Caprile
[1] Varlam Chalamov, Cahiers de la Kolyma et autres poèmes, traduits du russe par Christian Mouze, Editions Maurice Nadeau – Les Lettres Nouvelles, Paris, 2016.
Galerie Borromée, 968 avenue Xavier de Ricard 34000 Montpellier
Ouvert tous les jours sur rendez-vous au 06.24.56.28.49
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