Juliette Liautaud, Sylvie Sauvageon, Tom Sam – Maisons avec vues
Du 11 juillet au 27 septembre 2025 – Vernissage vendredi 11 juillet à partir de 18h
Ne juge pas si lointain ce qui peut s’atteindre,
Bien que le couchant t’en sépare,
Ni si proche ce qui, voisin,
Est plus loin que le soleilEmily Dickinson, Quatrains et autres poèmes brefs
C’est en pensant à Emily Dickinson que s’envisage ce projet d’exposition pour la Nouvelle Galerie. Emily fut une ascète du domestique. Elle voyagea toute sa vie durant, sans cesse, mais toujours de façon immobile. Son corps occupait un espace restreint, tandis que son esprit voguait dans l’immensité de son imaginaire.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Emily Dickinson révolutionna la poésie en y insufflant une émotion personnelle inédite, tout en s’autorisant des formes d’écriture singulières. Cependant, elle publia peu — ou mal : certaines de ses œuvres furent modifiées de son vivant. Et surtout, elle choisit une vie recluse ; son vaste monde se limitait à un jardin, ses chères fleurs, une maison, voire une simple chambre. On raconte qu’elle en vint à s’adresser à ses visiteurs à travers une porte fermée.
Ainsi, toute la beauté de l’agencement des mots qu’elle forma ne s’alimenta pas de voyages ou de rencontres foisonnantes, mais de la puissance de sa richesse intérieure, bâtie dans un lieu unique : une maison. Nul besoin parfois de chasser les horizons. Par la fenêtre de la chambre d’Emily, « le jardin est plus grand que toutes les galaxies réunies, qui ne peuvent contenir tant de fourmis, tant de fleurs et de brins d’herbe. Il est l’univers entier, borné au sud par la route principale, à l’est par la haie de pruches, à l’ouest par les Evergreens et au nord par des générations de Dickinson, nés et enterrés sous cette terre.-2 »
Une adresse est faite à la Maison Salvan, pour travailler à la prochaine exposition de la Nouvelle Galerie, située dans une autre maison, bordant une place d’un village gersois. Ces deux maisons sont encore « habitées ». On y perçoit les générations qui s’y sont succédées. Elles sont bien plus que ce qu’on y voit au présent.
Comme chez Emily, des hommes et des femmes y ont rêvé et réfléchi, auprès des cheminées, adossés à un chambranle de porte, en regardant par la fenêtre… Et puis, à Cologne comme à Labège, ces maisons ont connu des travaux, pour que leurs nouveaux habitants soient désormais aussi des artistes. La Nouvelle Galerie, comme la Maison Salvan, ne dissimule pas les affects du lieu. Le contexte est un environnement hybride : les murs blancs appellent les œuvres, mais il est perceptible que les propositions artistiques dialoguent avec ce qui fut jadis une sphère domestique.
C’est dans cette voie que deux artistes ont été invités à participer à ce projet. À leur manière, ils convoquent l’idée de l’intime dans des espaces habités. Pour cette exposition, les peintures de Tom Sam dépeignent des figures intérieures, semblant nostalgiques, ou du moins pénétrées de pensées profondes. Les spectateurs et spectatrices sont invités à combler les espaces hors champ et à spéculer au sujet des pensées suggérées. Sylvie Sauvageon, quant à elle, présente une approche tournée vers la copie ou la sauvegarde de fragments du réel. Elle initia, par exemple, des séries de papiers peints dessinés, ou encore des scènes de maison, avec mobilier, à l’échelle du réel.
Il s’agira aussi d’apporter quelques perturbations. L’exposition ouvrira des fenêtres et convoquera l’ailleurs. C’est depuis la tranquillité d’un chezsoi que l’on peut confortablement penser au lointain. C’est de là que surgissent les rêveries. Ainsi, Juliette Liautaud proposera un travail qui tranchera par son noir et blanc, l’usage du médium photographique et des formats plus réduits. Les traces de présences humaines seront absentes de ses propositions. Elles évoqueront la pensée errante, la songerie, la réminiscence — à nouveau, des mots d’Emily Dickinson : « Toutes choses balayées / – Voilà l’immensité.
Commissariat Paul de Sorbier
Biographie des artistes
Tom Sam
Né en 1981 à Agen (47), Tom Sam se tourne vers la peinture. Ce médium lui offre la liberté d’exprimer sa connexion avec la nature et son ressenti vis-à-vis du monde qui l’entoure de manière viscérale. Ses expériences immersives – alors qu’il fut préalablement écologue et naturaliste – dans des environnements variés ont enrichi sa compréhension de la complexité du vivant.
Chaque coup de pinceau qu’il pose sur la toile est imprégné d’une sensibilité profonde, capturant non seulement les apparences physiques mais aussi les émotions et les histoires cachées derrière chaque sujet. Représenté depuis 2021 par la galerie Art Absolument à Paris, il participe à de nombreuses expositions et foires internationales. (St’Art (Strasbourg), Lille Art up (Lille) et DDessin (Paris)).
La peinture de Tom Sam est une exploration intime et sincère de son vécu, de ses souvenirs et de ses rencontres. Inspiré par des photographies qu’il prend la plupart du temps lui-même, Tom peint des proches et des figures familières, cherchant à capturer une vérité émotionnelle mêlant introspection personnelle et confrontation avec le réel.
D’un point de départ empathique, il chemine entre l’observation naturelle et intérieure, entre souvenirs et réalités tangibles, entre le ressenti et le perceptible. Ses peintures sont en quelque sorte des enregistrements de cette dualité, dans un souci constant de maintenir en vie une honnêteté vulnérable. La figure humaine est centrale dans son travail, ce qui peut sembler paradoxal si l’on considère son passé de naturaliste tourné vers la nature sauvage.
La peinture alors semble être pour lui une tentative de (ré)conciliation, servant de miroir aux complexités des relations sociales et environnementales. Ses portraits révèlent les tiraillements et les contradictions qui existent entre les mondes d’où nous venons et ceux vers lesquels nous nous dirigeons. Ses œuvres sont peuplées d’individus silencieux, tiraillés entre l’appel du lointain et la recherche de l’amour et de la connexion humaine.
L’artiste croit en une représentation sincère du monde qui l’entoure. Ses personnages et ses scènes sont ancrés dans une réalité tangible, tout en explorant des thèmes tels que la mémoire, l’identité et la condition humaine. Le réalisme qui s’exprime alors ne se dégage pas pour autant d’une forme de romantisme, éprouvé comme une sorte de malédiction qui s’exerce dans le choix des couleurs au contraste violent qui semble contredire le réalisme cruel et rugueux des corps.
Les compositions parfois austères laissent transparaître une narration équivoque, une dramaturgie allusive. On ressent alors la difficulté humaine de la fixation, une tension produite par cet équilibre instable entre la vérité menaçante et la beauté rassurante des illusions.
Juliette Liautaud
Juliette Liautaud est née en 1987, elle vit et travaille à Marseille. Après des études de littérature et d’art à Paris, Saint-Denis et à Nice (Villa Arson) et une année de photographie entre Usti Nad Labem et Prague, elle s’installe à Marseille, où elle co-fonde le collectif Stereoeditions en 2016 et développe sa recherche à la croisée de la photographie, du film et de la musique. Elle fait voyager ses images, films et sons à travers projections, expositions et résidences d’artistes, en France et ailleurs.
Son travail est tissé de matières vivantes et vibrantes issues de la nature. Sons et images entrelacés, montés ou collés, tirent vers le demisommeil où les formes gravitent en constellations elliptiques. D’ensembles en environnements, en expériences vibratiles, elle s’attelle récemment à développer des formes audio-visuelles poreuses, sensorielles et discrètement immersives.
Depuis 2019, son travail est documenté et accompagné par Documents d’artistes PACA et le Réseau Documents d’artistes. Depuis 2021, elle emprunte le moniker Lull à travers une série de mixtapes hybrides semi – narratives ou pour sa propre musique. Depuis 2022, elle approfondit sa curiosité pour le sonore au conservatoire Régional Pierre – Barbizet de Marseille en composition électroacoustique. Depuis 2024, elle est résidente des radios indépendantes Station Station et Lyl Radio.
Sylvie Sauvageon
Sylvie Sauvageon est née en 1963, elle vit et travaille à Lyon. Bien que marqué par la pratique du dessin impliquant un temps de faire, voire de refaire tant elle « s’approprie l’apparence des choses », son travail aborde aussi la maquette et le livre.
Sylvie Sauvageon envisage le dessin comme une nécessité existentielle. Effrayée par la violence du geste pictural, elle lui a préféré l’exigence et le temps du dessin, le plus souvent réalisé aux crayons de couleurs. Investissant cette pratique comme l’écrivain aborde l’écriture autobiographique par un travail introspectif, le temps dédié à l’exercice graphique prend une forte valeur symbolique.
Dessinant toutes les images qui l’entourent souvent à l’échelle 1, Sylvie Sauvageon reproduit les couvertures de livres et les articles de journaux qu’elle a lus, les tickets d’entrée des expositions visitées, les papiers d’emballages, les plaques photographiques retrouvées, les tapisseries oubliées et collecte ainsi les innombrables éléments vécus et ressentis, comme un inventaire.
Dans la série « L’Endroit du décor » elle s’est approprié graphiquement des murs entiers, des lieux de vie connus qu’elle a reproduits à la même échelle, toutefois sans jamais vouloir créer une quelconque illusion ou un jeu de trompe-l’œil.
Les maladresses, notamment scénographiques, incarnent l’artiste, qui veut que le spectateur prenne conscience du caractère provisoire et fragile d’une installation composée de lés de papier. C’est ainsi qu’elle crée une seconde réalité dans la réalité. Sa vérité dessinée. (Anne Cécile TREGLOS)
La_nouvelle galerie, 15, place de la Halle 32430 Cologne (Gers) Tél : 06 15 11 19 09
Ouverte les vendredis et les samedis de 11h à 12h30 et de 16h à 19h et sur rdv
- Arts Plastiques, Photographie
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