Jessica Backhaus prend les feuilles de papier colorées, en dehors de toute fragilité, elle les jette, les ordonne, en tire des suites lumineuses. Il faut bien en convenir, Jessica Backhaus est une grande coloriste. Elle commande des arrangements, comme des maquettes d’architecture, et elle les souhaite des couleurs les plus incandescentes, s’accomplissant les unes par les autres.

Une débauche de teintes, là, sur les photographies, avec tous ces verts, ces bleus, ces jaunes et ces rouges, des plis qui se confondent avec les ombres. Avec une vigueur constante, les larges aplats colorés proposent une infinie diversité.

Le papier est la couleur de fond, et la surface est la couleur !

Le jeu chromatique des « Cut Outs » n’est que l’analyse des rapports que l’espace tisse avec les blocs colorés, entre les formes et l’action du soleil. La couleur et le volume, en s’hybridant, offrent plus qu’un simple examen de la bidimensionnalité. Tous deux créent, conséquence des séries, une narration évolutive des couleurs : une histoire se faisant, chargée de joie expressive, parfois accrocheuse, qui ne suit que ses propres règles.

Les catégories du clair et du sombre, du mat et du brillant, du dense et du tendre, de l’ample et du modeste, du large et de l’étroit, ne s’opposent pas. Rien de fragile, avons-nous dit, car la photographie, elle, est ferme. Elle a su dompter la lumière et les autres éléments pour élaborer ces surprenantes structures en volume. Parce que Jessica Backhaus ne dessine pas avec les couleurs, elle les sculpte. Ici, on ne simplifie pas, au contraire, on explore l’autonomie de la couleur photographiée, à jamais libérée de la gangue du sujet.

Cependant, il ne faut pas s’y tromper, les couleurs, en se dissociant des objets, n’en deviennent pas pour autant des abstractions pures, des figures irréelles. Les effets de couleurs sont des réalités très souvent indicibles, mais bien présentes. Les feuilles colorées, traitées en épaisseur, dont nous pouvons visuellement maîtriser la complexité, mènent leur vie propre. Tel est le rôle que s’est donné la photographe : nous conter l’inépuisable vitalité des vibrations colorées affranchies de l’usage, et susciter une expérience de la couleur indépendamment des conventions de toutes sortes.

François Cheval

Un monde coloré, un monde dont la réalité se découperait en séquences comme dans un film. La photographie a tant de difficultés à comprendre le réel qu’il faut bien s’en créer un, et, quitte à faire, autant qu’il soit le reflet d’un univers personnel : sous les regards amusés et protecteurs d’Henri Matisse et de Josef Albers.

Il faut parfois au photographe revenir aux choses fondamentales, savoir poser les valeurs et arranger les teintes sur des feuilles de papier, les laisser vivre et les agencer. La perception ne se pense pas. Elle s’impose comme une évidence. On ne la mesure pas. Et si, comme le souhaite Jessica Backhaus, on l’explorait en associant les sentiments et les vertus aux couleurs primaires. Un regard qui soit simultanément rassurant et perturbant, entre plaisir et interrogation.

Certes, la couleur est un fard. Elle nous trompe et nous séduit. À trop l’observer, et nous voilà sous hypnose. Les images de Jessica Backhaus sont, elles aussi, dotées d’un pouvoir hypnotique. Et pourtant, il ne s’agit rien d’autre que de papier, de lumière, de couleur pure et d’ombre, mais qui, on ne sait comment, procurent aux images une vibration, une vie propre.

Biographie

Jessica Backhaus (Allemagne/États-Unis) est née à Cuxhaven, en Allemagne, en 1970 et a grandi dans une famille d’artistes. À l’âge de seize ans, elle s’installe à Paris, où elle étudie la photographie et la communication visuelle. C’est là qu’elle rencontre Gisele Freund en 1992, qui devient son mentor. 

En 1995, sa passion pour la photographie l’amène à New York, où elle assiste des photographes, poursuit ses propres projets et vit jusqu’en 2009. Jessica Backhaus est considérée comme l’une des voix les plus éminentes de la photographie contemporaine en Allemagne aujourd’hui. Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions individuelles et collectives, notamment à la National Portrait Gallery de Londres, au Martin-Gropius-Bau de Berlin, à MARTa Herford et à la Kunsthalle d’Erfurt. À ce jour, elle a publié dix ouvrages dont neuf aux éditions Kehrer Verlag, Heidelberg.

Ses photographies figurent dans de nombreuses collections d’art de premier plan, notamment la Taunus Sparkasse en Allemagne, l’Art Collection Deutsche Börse en Allemagne, l’ING Art Collection en Belgique, la collection du Museum of Fine Arts à Houston aux États-Unis, et la Margulies Collection à Miami aux États-Unis. Jessica Backhaus est représentée par Robert Morat Galerie à Berlin, Galerie Anja Knoess à Cologne, Petra Becker/ International Art Bridge à Meggen, Robert Klein Gallery à Boston, Bridgette Mayer Gallery à Philadelphie, MiCamera Gallery à Milan, Carlos Carvalho ARTE CONTEMPORÂNEA à Lisbonne et Wouter van Leeuwen Gallery à Amsterdam.