Geneviève Asse – Le bleu prend tout ce qui passe
Du 25 janvier au 18 mai 2025
Geneviève Asse
Née le 24 janvier 1923 à Vannes, Geneviève Anne Marie Bodin prend le pseudonyme de Geneviève Asse pour son itinéraire d’artiste peintre et de graveuse. Toujours elle chérira la Bretagne, partageant ses activités de peintre dans ses ateliers de l’Ile aux Moines et de l’Ile Saint-Louis (à Paris).
De 1940 à 1942, Parisienne, elle se forme auprès du Groupe l’Échelle, avant de se donner corps et âme dans la Résistance auprès de son frère jumeau. Elle s’engage comme ambulancière et participe à la libération du camp de Theresienstadt.
Sa première exposition collective, « Étape » remonte à 1946 à la galerie Visconti ; elle obtient sa première exposition personnelle en 1954 à la galerie Michel Warren toujours à Paris. Geneviève Asse exposera ensuite régulièrement au Salon des Réalités Nouvelles dont le contenu penche clairement dans l’abstraction géométrique (la fortune critique oppose alors bruyamment les abstraits chauds, autour de l’héritage de Kandinsky, et les abstraits froids autour de celui de Mondrian, autour du Salon des Réalités Nouvelles).
On ne compte plus les expositions temporaires de Geneviève Asse, la dernière remontant à 2020. Elle compte parmi les artistes majeurs de l’après-guerre,
figure de peintre éprise de liberté, au-delà des chapelles abstraites. Elle a donné un ensemble significatif d’œuvres au Centre Pompidou et au musée de la Cohue à Vannes. L’artiste a beaucoup œuvré pour les livres de poètes avec la réalisation d’estampes : Michel Butor, Francis Ponge, Charles Juliet, Silvia Baron Supervielle…
Certains de ces auteurs étaient des proches de Soulages qui l’encouragea, la suivit dès les origines.
Geneviève Asse meurt le 11 août 2021 à Paris, à l’Institution nationale des Invalides. Ses obsèques bénéficient des honneurs militaires.
Geneviève Asse commence à peindre des œuvres très sobres, des natures mortes
ascétiques, comme des sortes de Bodegones, des compositions comme Giorgio Morandi ou Luis Fernàndez les peignirent, sobres et découpées. Progressivement, elle domine une abstraction pure, avec des associations d’aplats rectangulaires plus ou moins vifs, allongés.
Depuis les années 1970, Geneviève Asse peint en bleu. Sa palette va du bleu clair au bleu profond, c’est sa marque poétique et sa technique. Ce bleu n’est pas monochrome au sens strict, mais exprime la passion, l’empathie avec la mer et le ciel, avec l’infini. Le bleu sans cesse gagnera du terrain : « Le bleu prend tout ce qui passe » affirmera-t-elle. La lumière, fractionnée, diffusée, naissante… est la grande affaire de Geneviève Asse.
C’est une lumière immanente, une sorte de paysage grand ouvert, horizontal. Le souvenir des toiles intitulées Fenêtres le rend vertical. Asse a fait des vitraux à Lamballe ; elle a conçu des pièces de porcelaine pour la Manufacture de Sèvres. Cela la rapproche de Soulages aimant varier les techniques et les expériences.
L’exposition du musée Soulages rassemblera environ 70 œuvres, essentiellement des peintures sur toile et des œuvres sur papier, des dessins et des estampes. Le
commissariat en est assuré par Benoît Decron et Malika Noui, avec le soutien décisif du Fonds de dotation Geneviève Asse. Les prêts émanant de ce fonds seront complétés par le Centre Pompidou-musée national d’art moderne, la Fondation Gandur, le musée de Vannes, le musée des beaux-arts de Lyon, le musée des beaux-arts de Rennes, le musée Picasso d’Antibes, le MACVAL, par des galeries, celle d’Antoine Laurentin son dernier marchand notamment, par des collectionneurs (des pièces rares).
Les carnets de la peintre, riches et variés, bénéficieront d’une présentation spécifique, une consultation numérique accessible au public. Ils sont des marqueurs chronologiques de son parcours pictural, un itinéraire précieux.
Le Fonds de dotation Geneviève Asse, à l’occasion de cette exposition ruthénoise, fait restaurer quelques précieuses natures mortes. Le parcours sera nettement orienté vers le passage de cette réalité du quotidien aux compositions informelles, via de subtiles et précieuses géométries.
Le catalogue (144 pages) bénéficie d’articles de Silvia Baron-Supervielle, d’Hector Bianciotti, de Cécile Pocheau-Lesneven, d’Anne de Staël, de Françoise Berretrot, de Benoît Decron, de témoignages de René de Ceccatty, d’Antoine Laurentin et de Marie-Françoise Le Saux, d’un entretien entre Geneviève Asse et Malika Noui en 1993. Préface d’Alfred Pacquement, président du musée Soulages, Rodez – EPCC.
Benoît DECRON,
conservateur /directeur musée Soulages, Rodez
Geneviève Asse, quand la lumière infuse les couleurs
Texte extrait du Catalogue
« Qu’est ce qui détermine la couleur ? Saura-on jamais…
C’est un mystère. Je voyage avec le bleu, c’est ma dimension intérieure. »
Entretien de Geneviève Asse avec Jean-Claude Daval1
L’air possède une couleur / Bleu : il prend tout ce qui passe. Deux phrases concises, semées comme un couple, dans le livret de Geneviève Asse,
Notes par deux, 2003. Nous saisissons ces vues de l’esprit, des tirets allongés sur le papier immaculé, comme des incisions, des lignes essentielles comme le matérialise le bastingage du navire : lignes de vie fines et robustes, surmontant les flots, bravant l’espace.
Germain Viatte qui aimait l’oeuvre de Geneviève Asse et savait en parler insistait sur ce bleu « qui prend tout »2. C’était considérer ce pigment en constant développement comme une marée montante balayant le préexistant sur sa lancée, un mouvement qui étalonne pourtant ses passages. Qui avance pour mieux se retirer et troubler le nuancier. Un bleu atmosphérique
– atlantique disait-on, ciel et mer solidaires, en partage cependant – bleu entêtant, devenu le seigneur des lieux, le chiffre du peintre, « bleu Asse ».
Ce bleu incarne un tout et fait signature : chez Geneviève Asse, nadir, zénith et débir, comme concepts symboliques de la verticalité, des données magiques et matérielles.
À mon sens, l’allure un peu raide de ces peintures les retranche du monde du songe : le réel dispute à l’inconnu. Rien n’est simple dans cette montée de bleu, rien n’est posé à tout jamais et comme le commentait Viatte en 1975 relevant la touche qui s’absente, l’architecture secrète, les lignes fermes : « Est-ce donc la table rase, proposition théorique pour un détour aux fondements problématiques de la peinture ?
Retrouvons-nous là l’immatériel de Klein, une démarche analogue à celles que Clement Greenberg préconisa outre-Atlantique dans les acceptions variées de générations successives, ou bien les subtils constats de Robert Ryman ou de Brice Marden ?
Geneviève Asse craint l’esprit de système et sa démarche est autre »3.
En France à cette époque-là le milieu de l’art contemporain parle américain et notre artiste venait d’ailleurs et, disons-le tout net, du monde d’avant. Jean-Luc Daval, en 1995, s’interrogeait sur les rapports entre Geneviève Asse et la critique formaliste.
Il n’en tira rien de probant : « Mais surtout elle peint, et sans avoir jamais appris. Elle fait ce qu’elle doit et n’essaie pas d’imiter les autres. »4. Les rapprochements alléchants et incidents avec l’art moderniste de peintres comme Kenneth Noland, par exemple son Appearance (1970), composition panoramique d’un bleu indécis soulignée en pied de deux horizontales colorées, ramènent à un propos aux origines différentes. Dès la fin des années 60, à son rythme, Geneviève Asse fraie son chemin dans le bleu : pas exclusivement, car elle y invite parfois le blanc et le rouge.
Geneviève Asse, comme on le comprend, échappe aux catégories commodes de l’histoire de l’art. Son propos survole le formalisme et l’argument de la Nature dans la peinture figurative. Sa place est singulière : une formation classique, le goût de la littérature (Samuel Beckett, de la poésie, Pierre Lecuire, Yves Bonnefoy, Claude Esteban, Silvia Baron Supervielle), la consultation de l’art de son temps, un compagnonnage avec quelques salons parisiens dont celui des Réalités Nouvelles défendant l’abstraction géométrique
– l’art concret – sur les brisées de Mondrian ou de Vantogerloo.
Les compositions d’Asse parfois floues, instables irrégulières, échappent à cette orthodoxie, malgré des aplats en rectangle des lignes droites et brisées. Il règne dans cette peinture quelque chose d’indéfinissable, d’inattendu.
Ne jamais oublier que Geneviève Asse a peint d’abord de quiètes natures mortes, que le dessin était son royaume. Elle a puisé dans le banal environnant, l’insuffisance des objets, l’indigence d’un atelier, la pauvreté d’un bouquet, la solitude d’un fruit…
Dans un même temps elle s’enthousiasmait pour la gravure, pour le burin et la pointe sèche. Les lignes, les angles droits, les écheveaux de traits n’en restaient pas moins les arêtes pointues d’un réel infiniment dépassé, transcendé. Le temps s’immobilise.
Plus tard les carnets et les leporellos ourleront l’oeuvre peint comme un libre récit, avec un début et une fin. Le temps pouvait s’étendre.
Il y flotte un bleu intuitif – ni monochrome ni Color-Field –, un bleu tout en laissées, tiré au pinceau ou à la brosse – brosse rognée, outil mutilé – étrangement doux et ascétique, moiré et cloisonné.
Ce bleu ne tient pas la note. Beaucoup se trompent qui le comprennent comme une intention mesurée, un principe régulateur. Le geste commande toujours, pas de repentirs. Le discours de Geneviève Asse tient à la conduite de sa peinture, comme le témoignage de son intériorité avec son expérience du monde. Il est ambigu quand on connaît son retirement, son peu d’appétence pour les bavardages. Le tropisme breton de Geneviève Asse, bien chevillé à l’âme, agit aussi comme un prétexte à son introspection sur le mode pictural
Benoît Decron et Malika Noui
Musée Soulages, Jardin du Foirail – Avenue Victor Hugo 12000 Rodez
Septembre à juin: du Mardi au vendredi : 10h-13h et 14h-18h. samedi et dimanche: 10h-18h
- Arts Plastiques
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