Tous mes dessins, tout ce que j’ai écrit, est venu vers moi, hors de mon vouloir, à mon insu, car j’ai toujours été honteux de dire en accueillant les images. Cette honte a accompagné tout ce que j’ai fait. 

Voilà presque cinquante ans que je vis couché sur mes papiers. J’ai bu ma honte. Et si je veux aller plus loin et répondre à la seule question qui attend, en moi : pourquoi as-tu honte ? Je peux répondre à la manière de ma mère qui me recommandait, depuis mon enfance, de ne jamais rien dire. 

Elle croyait que nous étions là pour taire aux autres ce que nous avons subi, ou ce que nous savions. 

De là cette impression de haute gêne d’avouer en dessinant, d’avouer en écrivant, me retenant pour le ressortir.

Fred Deux

Il y a un temps pour tout, nous dit L’Ecclésiaste, dans un des livres les plus cités de la Bible. et il ajoute : Il y a un temps pour chaque chose… Lecteur de tant de livres, lecteur de l’Ancien Testament, on pourrait dire de Fred Deux qu’il aura pris le Qohelet au pied de la lettre. Disparu il y a dix ans bientôt, c’est à une oeuvre sans fin que cet homme, dont on fête le Centenaire en 2024, nous convie depuis longtemps, et on a peine à comprendre comment ce temps qui lui était donné, si semblable au nôtre, l’a ouvert à « chaque chose » avec autant d’évidence, d’imagination et autant de talent.

Écrivain, il fut avec ce livre séminal, La Gana (1959), dont aucun lecteur n’est sorti indemne, et avec de nombreux autres récits, le conteur d’une vie éminemment singulière, celle d’un enfant du siècle. Artiste, peintre, dessinateur, il fut l’inventeur d’un univers pour lequel il usa tous ses sens, depuis la découverte du crayon et de l’encre dans la misère de sa jeunesse jusqu’à ces soixante années passées dans les maisons de Lacoux, dans l’Ain, puis de La Châtre, dans l’Indre à inventer des traits.

C’est dans ces deux lieux que Cécile Reims et lui partagèrent tout. Cécile Deux, compagne de soixante de vie commune, y grava à la fois sa propre oeuvre et celle de Fred, jusque dans l’épuisement des yeux. C’est dans ces lieux aussi qu’il nous fit le don de sa voix, pour le legs du récit de sa vie, ces deux cents heures d’enregistrement improvisées dans près de 400 cassettes gravées dans la solitude ou l’insomnie.

C’est dans ces deux lieux que les deux artistes construisirent une collection, faite des oeuvres des autres, artistes, artisans, d’ici, d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, aujourd’hui léguées au magnifique musée d’Issoudun. Tous ces gestes ont suscité tant d’admiration qu’on ne compte plus le nombre de livres auxquels la vie et les oeuvres de Fred Deux ont donné naissance !

Parce que son travail, sa vie, leur vie, ont marqué la nôtre, la mienne, nous devions leur offrir un nouveau regard. La Galerie Chave à Vence, près de Nice, qui accompagna Fred Deux durant plus de quarante ans, permet cette nouvelle exposition de dessins, de gravures, des nombreux « livres d’artiste » qu’elle a édités entre 1970 et 1998. Et les amis de Fred Deux seront aux rendez-vous de juin ! Vous tous aussi, nous l’espérons.

Christian Thorel

Trois rendez-vous autour de l’exposition