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La colombe de la paix Pablo Picasso

Jean-Luc Verna

Du 31 mai au 13 juillet 2024 –  Vernissage  vendredi 31 mai, à partir de 18h
Performance de l’artiste à 20h

Quelle époque a connu aussi vite autant de changements des corps que la nôtre ? Quoi qu’il en soit des régressions, souvent d’origine religieuse, auxquelles nous assistons aujourd’hui, il demeure évident que les questions liées à l’émancipation et à la modification des corps sont aujourd’hui partout présentes. Des tatouages, des scarifications, des piercings et des incrustations aux transitions de genre en passant par les nombreuses façons de sculpter son corps, nos sociétés occidentales voient partout fleurir des êtres étranges, ambivalents, splendides. Les univers esthétiques des minorités réunies sous le sigle LGBTQIA+ ont profondément changé notre rapport à nous-mêmes.

S’il est un artiste qui aura anticipé et incarné ce bouleversement des formes de l’identité, c’est assurément Jean-Luc Verna. Présenter son oeuvre plastique (ou non) ne peut faire l’économie de son personnage. Car, à l’instar d’un Philippe Ramette, issu comme lui de la Villa Arson, Verna s’est conçu et construit un personnage qui est la synecdoque de son oeuvre. Dessinateur fameux, il est amplement et magnifiquement tatoué ; plasticien, il a sculpté son corps jusqu’à danser (souvent avec Giselle Vienne) ; acteur, il se métamorphose dans les films de Brice Dellsperger ; chanteur (avec Apologize), il se produit en public et sur vinyle, etc. Partout où vous trouverez Verna, ce sera toujours lui, le même artiste de sa vie et de son oeuvre polymorphes.

L’univers visuel de Jean-Luc Verna est d’abord lié au moment punk et postpunk de sa génération et de notre histoire culturelle. Siouxsie, la chanteuse des Banshees, figure au premier rang de ses passions musicales et sociétales. C’est assez suggérer qu’une part notable de son inspiration provient de l’esthétique rock dans sa version « trash » ou « gothique ». Mais ce monde marqué par la violence n’empêche pas ses oeuvres sur papier (dessins, etc.) de manifester une finesse, une douceur, une délicatesse qui semblent aux antipodes du graphisme britannique des années 1980. C’est que Verna est un artiste des antipodes.

La statuaire classique, l’imagerie pornographique, l’esthétique symboliste ou les réminiscences du cinéma hollywoodien (voir l’icônique « Paramour ») s’y hybrident allègrement. La plupart des dessins procèdent de transferts d’images imprimées : leur double est alors rehaussé, maquillé au sens propre du terme, accentuant l’effet auratique du transfert. Les photos d’origine s’éloignent vers un lointain de mémoire affaiblie pour céder place au présent flouté du dessin. 

Chez Jean-Luc Verna les doubles sont des fantômes arrachés à l’oubli. Autant de masques inconnus et familiers, autant de métaphores. Si toutes ses images sont empreintes d’un arrière-fond d’inquiétude ou teintées de mélancolie, si une ambiance lourde et sombre paraît s’être saisie d’elles, si l’ombre de la mort y passe fugace, cela n’inhibe jamais l’attention affectionnée portée à ses sujets et n’interdit pas non plus l’irruption sarcastique du monstrueux et du burlesque.

Et la parenté flagrante des dessins de Jean-Luc Verna avec les styles fin-de- siècle ou décadents peut se lire comme l’intuition angoissée d’une autre fin, celle qui s’annonce pour notre monde. En 1994, l’artiste se faisait photographier nu, déhanché, sur une route de campagne déserte avec un écriteau dans la main droite où l’on pouvait lire : « THE END ». Tout un programme pour un artiste débutant. L’ironie de la situation donnait le ton et inaugurait cette « pratique de la joie devant la mort » pour reprendre un titre de Georges Bataille qui caractérise l’oeuvre et la vie de Jean-Luc Verna. On comprend là l’importance de la danse chez lui. Elle efface le pessimisme de la lucidité au profit de la liberté optimiste de rire du pire.

La présente exposition redistribue des pièces étalées sur vingt ans de travail. Elle montre la continuité spiralée de cette oeuvre drôle et scabreuse qui se noue autour du désir. Parfois sentimentales, parfois cruelles, ces images et ces installations dressent ensemble un théâtre des fantasmes qui parfois se résorbent dans d’émouvants portraits d’oiseaux. Soudain la tonalité change et l’oiseau, inquiétant ou mignon, semble suspendre la ronde affolée des visages et des corps troublés par les contradictions en abîme d’un désir insatiable.

Christian Bernard, 28 avril 2024

Ceysson & Bénétière,  10 rue des Aciéries 42000 Saint-Étienne Tél : 04 77 33 28 93

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