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Discrète Séries. Pierrette Bloch, l’amie peintre

Du 10 février au 19 mai 2024

Pierrette Bloch (1928-2017) est une peintre et sculptrice franco-suisse qui élabora toute sa vie un art pétri de subtilité. N’appartenant à aucun champ esthétique, très indépendante, elle installa un rythme, un balancement entre le vide et le plein, une dialectique entre le noir et le blanc laissé en réserve, neigeux. Elle créa des ensembles d’oeuvres avec des moyens raréfiés, des formes élémentaires (points, lignes, entrelacs, boucles, mailles…), des sortes d’écriture dépourvues de sens, des « alphabets secrets », comme le proposait Frédéric Edelmann en 1978. 

Elle a pratiqué le dessin (mine de plomb, craie, pastel, fusain), le collage, la peinture sur papier, la sculpture, notamment avec l’utilisation de fils de crins entortillés sur des lignes de nylon. Ses formats sont souvent excentriques, très petits, par exemple, ou démesurément allongés – pouvant atteindre une dizaine de mètres pour quelques centimètres seulement de largeur. Il y a de la musicalité et une infinie poésie dans l’oeuvre de Pierrette Bloch qui a pu être rapprochée de celles des Supports / Surfaces, de Cy Twombly ou de Henri Michaux. Elle travailla à Paris dans son atelier de la rue Antoine-Chantin, de 1954 à son décès, et dans sa maison méditerranéenne à Bages, près de Narbonne.

Dans la simplicité, la singularité de Pierrette Bloch est de conjuguer un semblant d’ordre, un vocabulaire densifié et un chaos qui n’exclut pas l’humour. Le fil ténu y côtoie la tache d’encre.

Pierrette Bloch était une proche du couple Soulages. Pierre Soulages, qui la rencontra en 1949 dans son atelier de la rue Schoelcher, à Paris, l’a dépeinte en 2018 comme « l’amie de toute une vie ». 

Ce témoignage de fidélité est la raison pour laquelle cette exposition, loin d’être une rétrospective – celle-ci se tiendra au printemps 2025 au musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne -, prend place dans le cadre des célébrations du Dixième anniversaire du musée Soulages, Rodez se déroulant en 2024. Les oeuvres de Pierre Soulages léguées par Pierrette Bloch au Centre Pompidou – musée national d’art moderne seront présentées à cette occasion. 

Ces oeuvres des années 1950, peintures sur toile ou sur papier, sont restées accrochées dans son salon parisien pendant près de soixante-dix ans, manifestant avec constance la proximité amicale des deux artistes.

Discrete Series est un titre emprunté au poète objectiviste américain George Oppen que l’artiste plasticienne appréciait particulièrement. Ce titre, qui date de 1934, fait référence à une série mathématique aux termes « chacun empiriquement dérivé, chacun empiriquement vrai. » 

Empirisme, travail sériel, discrétion à tous les sens du terme, tous ces points résonnent avec l’oeuvre et la personnalité de Pierrette Bloch. La cinquantaine de pièces exposées, issues du musée de Grenoble, du musée Fabre de Montpellier, du Fonds de Dotation Pierrette Bloch et de collections particulières, témoigneront de cette production sérielle, autour de sept ensembles caractéristiques de l’artiste : I- Collages bleus de 1971. II- Lignes d’encre de 1995. III- Dessins saturés de 1997. IV- Fil de crin des années 1980. V- Pages d’écriture de 1986. VI- Dessins à gros points de 1996. VII- Ensemble de papiers asiatiques de 2006.

Commissaire, Benoît Decron, conservateur /directeur du musée Soulages, Rodez. Conseiller de l’exposition, David Quéré, physicien, ami de Pierrette Bloch.

Le catalogue de l’exposition (112 pages) rassemble des textes de Pierrette Bloch, Aurélie Voltz, Benoît Decron, David Quéré, Alfred Pacquement et Pierre Soulages.

Les poèmes sont en chemin : ils font route vers quelque chose.
Vers quoi ? Vers quelque lieu ouvert, à occuper, vers un toi invocable,
vers une réalité à invoquer.
Paul Celan

Vue de l’exposition, Photographies Philippe Cadu

FORMES DE LA RÉPÉTITION

Répéter, répéter encore – mais sans se répéter, telle fut la double injonction à laquelle se plia Pierrette Bloch de 1971, l’année de ses premières peintures sur papier, jusqu’à sa disparition, en 2017. Tache après tache sur une feuille, boucle après boucle sur un fil de crin, la répétition s’inscrit de façon évidente dans chacune de ses oeuvres qu’elle rythme comme le font des notes sur une portée ou des lettres dans des lignes d’écriture.

Or, la répétition se manifeste chez elle sur un autre mode, qui est celui des séries. À nous qui nous étonnions en 2011 de son peu d’intérêt pour la peinture de Claude Monet, elle se reprit : « Certes, nous devons lui reconnaître l’invention des séries », à quoi elle ajouta, comme pour compenser cet aveu de faiblesse : « Avec Cézanne, bien sûr ». Pour Pierrette Bloch, on n’aboutissait pas, on ne faisait que suivre un chemin – le long duquel on tentait d’approcher « quelque chose », et la série donnait corps à cette tentative. On piétinait en avançant, comme chez Samuel Beckett ou chez Thomas Bernhard qu’elle admirait intensément.

Le musée de Saint-Étienne proposera en 2025 la première grande rétrospective consacrée à Pierrette Bloch et on pourra y mesurer ce que fut le chemin (les chemins, en vérité) suivi(s) par cette artiste du secret. Le point de vue choisi dans l’exposition du musée Soulages, à Rodez, est tout autre : on y présente sept séries, comme autant d’arrêts sur images, qui montrent à la fois l’importance qu’avait pour elle cette pratique et la fertile imagination dont elle y fait preuve – trouvant dans la double contrainte (répéter une forme, répéter la répétition) des ressources toujours nouvelles.

Ces séries sont sans lendemain : dans des formats semblables, avec une technique qui est la même, dans un temps resserré (quelques mois au plus), Pierrette Bloch explore un champ qui aboutit en général à une dizaine d’oeuvres – qu’elle quitte ensuite à jamais, remisant ces séries dans un meuble à plans où nombre d’entre elles ne furent découvertes qu’après sa disparition. La règle, chez elle, est toujours assortie d’exceptions : de la même façon que ses ordonnancements de points voient souvent un ou deux d’entre eux s’échapper et perturber (avec humour) la structure de l’ensemble, il lui arrive, à de rares occasions, de revenir, avec un pas de côté, à un travail antérieur – comme ces cinq « pages d’écriture » sur papier oignon de 1989 qui viennent compléter, à la façon d’une coda dans un morceau de musique, ses oeuvres à la plume sur papier à lettres de 1986.

À l’exception d’un petit ensemble de gouaches colorées de 1959, le travail de Pierrette Bloch ne prend véritablement une nature sérielle qu’en 1971, date de ses premiers papiers tachés d’encre de Chine et marouflés sur toile – comme dans une forme d’adieu à la peinture qu’elle pratiquait depuis le début des années 1950. Souvent insatisfaite, elle déchire et jette ses tentatives. Son goût de toujours pour les bas-côtés et les chemins de traverse la fait s’intéresser à ces ratages (un mot fréquent de son vocabulaire), qu’elle colle sur de la toile peinte – comme une dernière apparition de la peinture (au sens traditionnel) dans son travail. Ces petits collages sont la première série, chronologiquement, montrée dans l’exposition. Ils témoignent exemplairement de sa recherche, et, au-delà, de toute recherche, où échecs et tâtonnements sont la condition de la découverte – comme l’incarnent ces fragments découpés ou déchirés que rehausse le fond bleu d’une peinture.

Le travail à l’encre de Chine sur papier est présenté dans deux ensembles choisis pour leur contraste : en 1994, Pierrette Bloch dispose sur des papiers de format raisin de larges taches noires obtenues par l’écrasement de pinceaux épais, cas rare dans son oeuvre de peintures presque autoritaires. En 1997 et 1998, elle réalise d’hypnotiques compositions faites de points ou de traits minuscules – des oeuvres qui constituaient une véritable torture pour elle, embarquée contre son gré dans ce qu’elle appelait « un voyage ». La différence entre les séries de 1994 et de 1997-98 est ainsi, et d’abord, une différence entre les deux modalités temporelles dans lesquelles s’inscrit son travail depuis ses commencements : le temps contracté des taches jetées sur la feuille et le temps dilaté de ces oeuvres au long cours.

On retrouve ce même contraste entre les deux séries consacrées aux oeuvres quasi-unidimensionnelles de Pierrette Bloch, sculptures de crin d’une part et lignes de papier d’autre part. Il était sans doute fatal que ce que Valérie Mréjen appelle si justement ses « alignements » (un impératif dans son travail plus fort encore que celui du point) se réduise un jour à des lignes – ces lignes dont l’amenuisement, a noté Pierre Soulages, qui était spécialement sensible à cette famille d’oeuvres, marquait plutôt à ses yeux une « intensification de son art ». Les lignes sculptées au crin, qui vont l’occuper du milieu des années 1980 à la fin des années 1990, sont, dans le détail, constituées de sous-séries, boucles serrées, boucles écrites, boules, etc. comme les nomme l’artiste par commodité. Les bandes de papier tachées d’encre leur succèdent, du milieu des années 1990 à l’an 2000 environ. On y voit tout son travail sur papier « se condenser » et, en effet, s’intensifier, dans la tension d’un format excentrique – et parfois démesuré.

La pratique sérielle de Pierrette Bloch l’a aussi conduite à organiser de grands ensembles – manière d’afficher l’importance de cette pratique tout en lui permettant de se mesurer au grand format, un défi majeur pour elle qui avait aussi besoin d’affronter la monumentalité, alors que son oeuvre était constituée de pièces souvent petites et marquées du sceau du retrait. L’ensemble de trente-et-un éléments datant de 2008 choisi pour cette exposition en témoigne : ces papiers asiatiques peints de frêles verticales à l’encre souvent diluée tirent leur raison d’être de leur juxtaposition. En résulte une oeuvre forte et fragile, dont l’organisation nous rappelle sa science du collage et dont le rythme est donné autant par les traits d’encre que par les intervalles qui les séparent – le mur qui supporte les oeuvres étant souvent une composante essentielle du travail de Pierrette Bloch.

L’exposition s’accompagne enfin d’une dernière série d’une toute autre nature : l’ensemble des six peintures de Pierre Soulages datant des années 1950 au milieu desquelles elle vivait, dans l’appartement mitoyen de son atelier à Paris, avant qu’elle ne les lègue au Centre Pompidou. Un cas plus que rare d’une artiste immergée dans les oeuvres d’un autre : on n’a jamais vu une seule oeuvre de Pierrette Bloch sur ses propres murs, elle pour qui l’art était non seulement « un chemin qui fait route », mais aussi un secret. Discrete Series.

David Quéré et Aurélie Voltz

Musée Soulages, Jardin du Foirail – Avenue Victor Hugo 12000 Rodez

Septembre à juin: du Mardi au vendredi : 10h-13h et 14h-18h. samedi et dimanche: 10h-18h

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