Abel Burger – Nuit noire, Désir impérial
Du 21 juin au 30 septembre 2025 – Vernissage vendrerdi 20 juin à 19h
« Les Mythologies Personnelles d’Abel Burger ont une dimension mystique parfois difficile à interpréter mais elles nous captent, nous ramènent très loin dans un art multi-millénaire, archaïque et originel »
Sur ses grandes toiles libres à L’isba Perpignan, en 2019 (exposition « Chasing Spirits ») Abel Burger jetait sa rage et sa fureur en des compositions violentes et colorées mettant en scène animaux, créatures issues des comics américains, objets de consommation, le tout ponctué de textes bien sentis qui en disaient long sur ses états d’âme d’alors. Que s’est-il passé depuis ? Dans quelles sources a-t-elle puisé pour trouver apaisement et équilibre … apparents ? Si on lui pose la question, la réponse reste suspendue au bout d’un long fil de silence. À bien y regarder tout était déjà là sous une autre forme avec les couleurs d’une autre palette.
Tout était déjà là mais l’intention et les références ont changé. Abel Burger a changé, a vécu une renaissance, elle le dit elle-même ; comme un reptile quittant sa mue devenue trop étroite (l’image vient directement de ses dessins), elle a grandi et a mis de côté sa révolte, disons qu’elle a composé avec elle.
Abel Burger s’est passionnée pour l’art des grandes civilisations disparues et particulièrement pour la peinture à fresque de l’âge du bronze Minoen et de Mycène, de Vulci et de Pompéï (exposition Musée de Collioure 2022). Sous ses pastels et graphites, les personnages souvent représentés de profil comme à l’Antique, prennent une pose hiératique d’anges gardiens, les animaux se libèrent : vol de dauphins, serpents paresseux échappés des mains de la déesse au serpents de Cnossos, le crocodile, Sobek qui régnait sur les eaux du Nil se dresse mi-menaçant mi-protecteur, ou peut- être est-il une figure de la « mère crocodile » lacanienne en « dévotion ou en dévoration » ?
Les chevaux se cabrent, encadrant les colonnes d’une architecture classique, animaux déifiés, totems, offrandes sacrificielles ? Les déités minoennes, mésopotamiennes, étrusques, romaines ou celles de la vallée de l’Indus reprennent vie dans des compositions très dessinées, subtiles, symétriques et calmes, calmes ? Le chaos n’est pas loin dans ces atmosphères trop pures pour être tout à fait sereines.
Le Végétal est souvent représenté par des palmiers minuscules, comme un leitmotiv, presque une signature. Les textes sont là en français ou en anglais ponctuant les dessins, les modérant, les réfutant, toujours avec la poésie de ses mots choisis. C’est ce qu’Abel Burger appelle ses « Mythologies Personnelles ou Rêvées », elle les construit en convoquant toutes les déités de toutes les mythologies et prennent place sur le papier, comme en apesanteur, soumises aux scénarios mystérieux de l’artiste.
Ces divinités ne sont pas uniquement issues des continents européen et asiatique mais aussi de l’Amérique du Nord où un séjour prolongé il y a quelques années lui inspira sa série sur les indiens des Plaines et des Lacs, de l’Amazonie où elle vécut au contact des natifs et fut initiée au chamanisme, de Cuba où elle eut l’occasion de rencontrer ceux qui ont le secret des rites vaudous. Chez ces peuples « premiers » les animaux ne sont pas que chair, il sont « animés » dans le vrai sens du terme, ceux qui nous ont précédés l’avaient déjà compris.
Abel Burger accorde beaucoup d’importance à la spiritualité. Elle soustend sa vie et son travail ; même si elle ne se revendique d’aucune religion, elle sait qu’un autre « lien » existe qui, lui, résonne avec la Nature. Convaincue que nous faisons partie de « l’Entité Nature « et que des forces spirituelles en émanent, elle a donné naissance à une forme artistique de « syncrétisme mythologique » métissé d’animisme, un panthéon original dans lequel chaque créature conviée à un rôle à jouer, pas forcément celui qu’elle joua dans l’Antiquité mais celui d’insuffler à la composition une aura de magie et de mystère.
On peut retrouver cette tendance mystique chez des artistes d’Art Brut, et plus précisément dans le sous-groupe des « Médiumniques » tels Joseph Crépin (1875-1948), Augustin Lesage (1876-1954) ou Victor Simon (1905-1976). Tous ont tous inventé un vocabulaire pictural propre, issu du spiritisme et de la médiumnité très en vogue à la fin du XIXè et au début du XXè siècle.
C’est la seule référence relativement récente à laquelle on peut rattacher le travail d’Abel Burger, décidément éloigné de toute emprise ; sur le plan plastique on peut dire que l’on est dans le même monde, surtout si on s’en tient à la symétrie qui semble être le point commun essentiel mais les vocabulaires et les intentions diffèrent.
La palette est douce, comme patinée par le temps : les roses, bleus, verts, ocres et beiges cèdent parfois le pas à un dessin au graphite vide de couleur,
la forme pure … Elle privilégie le papier qu’elle maroufle sur un support de bois ou de contre-plaqué solide et pérenne qu’elle peut griffer, graver, malmener avec stylets, graphite, pastels secs ou collages.
Les Mythologies Personnelles d’Abel Burger ont une dimension mystique parfois difficile à interpréter mais elles nous captent, nous ramènent très loin dans un art multi-millénaire, archaïque et originel et nous invitent à nous interroger sur nous-même et sur la place que nous occupons.
Isabelle Bagnouls , Galerie l’ISBA