Emmanuel Berry – Mon cher Rodin
Du 26 septembre au 7 décembre 2025
Tout au long de son œuvre, Rodin a entretenu une relation ambiguë avec le médium photographique. Il a été probablement l’un des premiers artistes à comprendre l’importance de la photographie afin de mieux faire connaître ses sculptures, laissant ainsi une profusion d’image documentaire et de reproduction à l’entour de son œuvre.
Rodin exprime son enthousiasme à Steichen en ces termes, « Vous ferez comprendre mon Balzac au monde par ces photographies. »
Emmanuel Berry retranscrit avec ses études photographiques la force expressive des œuvres de Rodin, mais on décèle aussi au regard de ses images un souci des débuts ; dans la manière indépendante, mais érudite à l’égard des techniques, et dans la volonté de renouer le fil d’un questionnement qui serait propre au procédé. Trahissant peu, il extrait et questionne les réserves du Maître et réutilise la photographie comme un outil tranchant, dévoilant la forme au delà des courbes.
Le travail d’Emmanuel Berry s’inscrit donc dans une longue histoire et il y a quelque chose de réjouissant à voir que près d’un siècle après la mort du sculpteur, son œuvre demeure un sujet de prédilection, un champ d’expérimentation. Loin des contraintes imposées par l’artiste, et souvent en prenant, sans le savoir, le contre pied de celui-ci, le photographe renouvelle notre vision sur sa création.
Hélène Pinet
Le choix de Berry parmi les pièces serre au plus près la cuisine affreuse du sculpteur, du dépeçage au rapiéçage. A quelques exceptions près, le photographe ignore le plus rassurant : les statues terminées, les commandes publiques, les portraits de bourgeois. Il fait une place au contraire pour les œuvres plus personnelles ou inachevées, les bouts mal digérés, les morceaux les plus noirs. Ici « Le beau est toujours bizarre », Berry suivant fidèlement la leçon de Baudelaire : « Je dis qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie non voulue, inconsciente, et que c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau. »
L’inconscient, c’est-à-dire l’origine. L’attrait puissant de la réserve tient aussi à ce qu’elle est la coulisse de la création, le lieu où tout se trame et tout commence. Explorer l’archive, c’est espérer percer l’arcane. On y trouve les signes de la genèse dans l’intensité explosive de ses premiers moments, celle qui fait jaillir les corps en geysers, troue l’oeil du Balzac d’un cratère de météorite. Le Rodin que Berry guette est un démiurge, ou peut-être un Prométhée, qui boute le feu sacré à de pauvres morceaux terreux.
Fourneau de sorcier, forge de Vulcain, le lieu s’anime de bronzes que l’on dirait encore instables, et visqueux sous la flamme. La version du Penseur qu’offre Berry est à cet égard étonnante : ce n’est pas la grande forme ramassée que l’on reconnaît entre toutes, mais des contours dissous dans l’huile. Le poids définitif du monument est remplacé par une matière vive saisie dans son état liquide, une flaque de mercure, un écoulement ardent.
Marie Guillot
Maison du Cygne, 209 Avenue de la Coudoulière, 83140 Six-Fours-les-Plages Tél : 04 94 10 49 90
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