PHOTOGRAPHES, MÉTISSONS NOUS !!! Dominique Roux
Ici et là j’entends des voix s’élever pour se plaindre de l’invasion de la photographie dite « plasticienne » dans notre petit monde de la Photographie. Ces voix, animées de variables intentions, (des meilleures aux pires) dénoncent l’ irruption « d’étrangers » dans son univers et au nom de sa soi-disante spécificité appellent à une sorte de résistance contre les envahisseurs venus du monde de l’art contemporain.
Ceci mérite peut être réflexion pour, tout en restant critiques et vigilants face à ce que produit la modernité, voire la postmodernité, ne pas se laisser aller à une attitude réactionnaire entièrement tournée vers les seules valeurs du passé , à une nostalgie de je ne sais quelle pureté du médium.
Il suffit d’ailleurs de consulter les Histoires de la photographie pour constater que les relations de la photographie avec sa grande soeur la peinture ne datent pas d’hier. Sans remonter à la camera obscura utilisée par les peintres de la Renaissance pour la mise en perspective de leurs tableaux, notons que dès l’invention de la photographie Delacroix l’utilisait pour remplacer ses « modèles vivants ». Par la suite du pictorialisme de Demachy (1880) au pop art de Warhol (1960) la photographie n’a cessé de croiser les chemins de la peinture et réciproquement.
Peintres-photographes (Degas, Bonnard, Rodtchenko, Moholy Nagy, Magritte, …) ou photographes-peintres (Steichen, Man Ray, Lartigue, Cartier-Bresson…), photographes utilisant la peinture sans se dire peintres , peintres utilisant la photographie sans se dire photographes…, ont entretenu les passages, et enrichi l’Histoire de l’art par la confrontation de ces deux médiums de nature pourtant si différents.
Aujourd’hui , après une période riche de questionnements et de radicalisations, la peinture traverse une période de crise . De son coté la photographie avec l’arrivée du numérique qui produit de nouveaux types d’images, la crise de la presse écrite , les menaces sur l’argentique , etc… est amenée à réfléchir sur son devenir.
Il serait trop long ici d’approfondir ces questions , il s’agit seulement de se situer vis à vis de
l’Histoire et de faire face à ces nouveaux enjeux. Ne pas surtout se laisser dépasser par des combats d’arrière garde sur la spécificité de la photographie, ou se laisser obnubiler par la rupture ontologique qu’elle a introduit dans l’ordre de la représentation.
Considérons que la photographie n’est rien d’autre qu’une fantastique réaction physico- chimique parmi d’autres et que seule compte la présence de l’ artiste derrière l’objectif . Qu’a ce titre nul n’est propriétaire de cette invention, que quiconque peut s’en emparer d’ou qu’il vienne et comme bon lui semble pour se confronter au réel , et l’exprimer en image.
Que les plasticiens privilégient aujourd’hui l’image fixe , que les écrivains y cherchent des échos , que les cinéastes s’y réfèrent et que de leur coté les photographes reprennent les pinceaux abandonnés, s’approprient les machines à écrire ou choisissent de passer par les écrans vidéos et les ordinateurs, tant mieux !
Tant mieux , à la seule condition qu’ils inventent de nouveaux langages susceptibles de produire des émotions nouvelles, et nous aident à penser et à ressentir ailleurs, hors des sentiers battus, des phénomènes de mode et des consensus mous.
Dominique Roux
Ancien responsable du centre de documentation du Château d’Eau