Ceysson & Bénétière Lyon

[…] Claude Viallat n’est pas un artiste visionnaire de lendemains chantants où l’art serait fini. Cette fabrique est celle du recommencement, définissant son propre temps au fur et à mesure que s’étend l’espace couvert par l’imprégnateur.

[…] Parce que ce qui se trame dans l’art de Claude Viallat, c’est bien une sorte de rêverie assez proche de celles des utopistes, que lui ne veut surtout pas imposer, qu’il ne décrit pas et pour laquelle il ne promulgue aucune législation. Il lui faut, allez savoir pourquoi, faire un art à vocation universelle, un art de reconstruction, avec les débris, les restes, les éboulis d’un monde, pour lui, heureusement défait, sur les ruines duquel une civilisation peut renaître et s’enraciner par et dans la peinture d’abord. C’est-à-dire dans et par la sienne !

[…] On retrouve dans l’art de Claude Viallat, cette même sorte de recommencement civilisationnel dont il fabrique mêmement que Dubuffet les paradigmes. Mais il le fait différemment. D’où l’importance, chez Viallat, de l’atelier, lequel est d’abord le lieu de stockage, de triage et de conservation des matériaux, qualifiables, à la Dubuffet, de tirés de la vie précaire, trouvés, ramassés, cueillis : non fabriqués.

[…] Claude Viallat les fabrique, ses objets, de ses propres et seules mains, sans l’aide d’outils, sans ce que Michel Guérin désigne comme « une troisième main ». Ainsi que, peut-être, l’ont fait les premiers hominidés ? Mais on peut penser que ceux-là ont très vite utilisé ce qui était à portée de leurs mains pour briser, couper, percer. Ce que Claude Viallat expérimente, ce sont les limites comme il l’a fait, le fait et le refait en peinture, du statut de ce qu’il fabrique : un objet ou une oeuvre d’art à chaque fois reconduits à une origine incertaine de la connaissance.

[…] Dans sa démarche cognitive, Claude Viallat ne voit pas ses objets assimilables aux seuls objets surgis de la Préhistoire mis au jour par les fouilles des archéologues. Ils sont, d’abord, pour lui évocateurs de tous ceux fabriqués par des sociétés primitives en survie repliées dans une économie voulue autarcique afin de se préserver de la modernité invasive de la civilisation.

En ce sens, ses objets rélèvent d’une rêverie, d’une sorte d’anthropologie imaginaire universaliste. Il relie moins sa production d’objets à une reconduction de la Préhistoire qu’à l’apparition de l’architecture reposant sur le nouage, le tressage et l’assemblage.

[…] La confection de tels objets, m’a assuré Claude Viallat, ne requiert pas un savoir artisanal. Elle relève d’un savoir d’usage, ce qui peut m’autoriser à les voir appropriés à des usages chamaniques, magiques ou rituels. La plupart des objets fabriqués de ses mains à l’aide de composants précaires sont d’abord des objets de survie, de défense, de chasse et d’attaque : des pièges, surtout, découlant de ce que Claude Viallat nomme « le principe de l’arc, du contrepoids et de la torsion ». Tous ces objets n’existent que par l’équilibre stabilisant ces montages de leurs constituants matériels.

[…] Il est vrai que Claude Viallat, Bernard Pagès, Toni Grand, Noël Dolla se sont employés à redéfinir la sculpture, par des expérimentations privilégiant la forme – laquelle, contrairement au signe qui signifie, se signifie, pour citer Focillon.

Bernard Ceysson Février 2025