Alain Chevrette – Surface picturale
Du 16 mai au 24 juin 2023 – Vernissage jeudi 25 mai de 18 h à 21h
« La peinture d’Alain Chevrette se déploie à la frontière mobile de la figuration et de l’abstraction », avons-nous écrit lors d’une précédente exposition intitulée « Rêves colorés ».
Cette frontière mobile, nous la percevons aujourd’hui plutôt comme une lisière jointive, une surface de contact dont les qualités de porosité et d’élasticité donnent à la matière sensible et réactive une souplesse capable de suivre librement la logique des déplacements créatifs de l’artiste.
C’est d’ailleurs au moyen de ces déplacements qu’Alain Chevrett maintient sa peinture toujours en tension et en mouvement dans la vie de la matière. Il repousse les limites internes structurant la toile en ce sens où il transmue ses constantes stylistiques en variabilité plastique et esthétique, déplaçant ainsi de facto le centre de gravité de son oeuvre.
Désormais, nous ne parlons plus en termes de frontière mobile, car figuration et abstraction ne sont plus deux régimes de part et d’autre d’une ligne de démarcation plus ou moins séparatrice. Dans le contexte de ce nouveau déplacement, le mouvement fluide de la peinture épouse la puissance des grandes variations continues qui saisissent ensemble, pour les moduler dans leurs ondes vibratoires, les forces de la figuration et de l’abstraction.
Elles interagissent en passant les unes dans les autres, ne cessant de remanier la matière et les couleurs dans les étreintes énergétiques de leurs actions plastiques : c’est comme un corps à corps physique et poétique au coeur battant du processus pictural. La grande variation bleue est une variation continue.
Elle se déplie dans l’amplitude de son chromatisme en expansion avec des effets de matité, de transparence, de luminescence, d’irisation ou encore de diaphanéité. Et quand parfois la lumière se contracte ou se dilate en rencontrant des zones crépusculaires ou aurorales qu’elle catalyse, elle dépose à la surface comme la couleur caverneuse des matières terrestres, la couleur éthérée des matières célestes, la couleur spumescente des matières océaniques. La grande variation bleue se répète et prolifère par les modulations différencientes des ondes vibratoires qui toujours changent les rythmes et les vitesses du mouvement lumineux.
La couleur bleue respire pigmentairement toute la puissance de son chromatisme. Elle l’exhale par toute l’immensité sans limite de la lumière spatialisée. Ce bleu mis en variation perpétuelle est l’infini de l’aplat alors même que l’aplat est la spatialisation lumineuse de l’infini devenu bleu : opus cosmique. Nous comprenons ici que la puissance de la peinture, en tant que matière colorée, donne à l’espace sa lumière au moment même où elle le crée.
Le flux de la matière colorée devient, dans le mouvement rythmique de la variation continue, un espace lumineux. Nous comprenons également qu’Alain Chevrette, après avoir traité le paysage non pas formellement mais dans des embrasements et des foudroiements de couleurs, est passé effectivement de la sensation du paysage au paysage de la sensation.
Cette exposition nous donne à éprouver une pure sensation de bleu, elle nous livre la vision d’un monde possible qui ne serait qu’une intensité chromatique éternellement résistante au chaos. Et sur cette planéité et dans la membrane hypersensible enveloppant le cosmos de matière colorée, nous regardons en suspension des formes à la limite de la non forme : elles sont nuageuses, mousseuses. Elles sont dans l’indécision poétiquement plastique des constellations nébuleuses qui sans cesse changent de forme dans le ciel sous l’action inspirée des vents d’altitude.
A l’intersection du figural et de l’abstrait, ces nuages picturaux se font et se défont au gré des forces plastiques s’exerçant sur eux.
Regardons encore comment Alain Chevrette traite deux carpes japonaises koi dans la lumière versicolore de l’aplat infini. Il ne garde que quelques traits pisciformes de ressemblance figurative pour qu’elles existent par résonance iconographique. Il les plonge dans leurs propres métamorphoses sous les conditions magnétiques d’une force d’évaporation abstraite.
Aussi avons-nous la sensation que les poissons potentiellement solubles nous font pénétrer dans le processus pictural de leur mutation onirique.
Pourtant, nous avons la certitude de les voir apparaître pour la première fois dans la gestation de leurs formes mouvantes au sortir des limbes.
Alors c’est comme si, entre les ailes translucides de la lumière impalpable, des souffles d’oxygène colorés alimentaient, dans une émulsion d’huile, les carpes koï nageant au matin levant dans les courants d’un double espace aquatique et aérien. Nous sommes là au milieu des étreintes énergétiques du grand corps à corps des forces plastiques intriquées les unes dans les autres, et créant dans leur grande variation continue l’espace lumineux et infini des matières colorées.
Cette exposition, sous le signe d’une intensité bleue, contient en elle-même le prochain déplacement créatif d’Alain Chevrette qui maintient sa peinture toujours en mouvement vers ses horizons renouvelés.
Galerie Valérie Eymeric, 33 rue Auguste Comte – 69002 Lyon Tél : 06 95 72 48 74