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Sylvie Mir – Peintures posées décomposées

Du 1er au 15 avril 2023 – Vernissage samedi 1er avril à partir de 17h30

Je cultive le fragment, veux suspendre les différents moments du faire : je produis un espace feuilleté comme une superposition de calques mis en cohérence.

En 2021 je veux retarder plus encore la construction ; retenir plus longtemps encore l’aveuglement partiel que j’organise avec la réserve et les caches, renforcer le suspens de l’acte par la fragmentation, pour obtenir l’extrait du faire plutôt que sa démonstration.

Le hasard et la réserve permettent des surprises visuelles qui font reculer la structuration finale.

Pendant ma résidence de l’été 2021 dans la Vienne j’ai préparé un grand nombre de petits châssis pour les manipuler et ainsi fragmenter le travail. Je travaille sur plusieurs supports à la fois avec un seul acte marquant. Leur espace n’est plus limité : les supports sont disposés au sol de façon à empiéter les uns sur les autres.

Chaque acte peint a son temps de séchage, puis, je réaménage une nouvelle disposition des toiles pour un autre acte peint.

Un nouveau dispositif pour ces supports reçoit un nouveau marquant.  La remise en jeu des mêmes supports permet de nourrir l’idée intuitive d’un ‘bouquet d’actes de peinture’ tout en reculant le moment qui collectera les châssis marqués et sans orientation. Alors je mettrai en place des trios ou duos de toiles…

Ainsi l’acte se laisse voir comme en suspens, en se montrant insuffisant, brisé.

La toile brute reste visible. Le blanc de gesso la couvre partiellement.

Le fluide de couleur écrasé soigneusement, laisse des manques.

S’il est lancé avec vigueur il sort du support semblant viser autre chose plus loin, ailleurs.

Les supports ont été acteurs de ces séparations, de ces coupures et le fragment pictural qu’il portent se trouve alors densifié dans son surgissement.

Je veux une simplicité des actes, produire le littéral, que chacun puisse deviner comment c’est fait il n’y a pas de mystère technique, pas de valeur laborieuse.

Sylvie Mir, 2021-2022

 

Texte de François Jeune pour le catalogue de l’exposition :

SYLVIE MIR, UNE PEINTURE EN EXPANSION

 «Je ne fais pas tout moi-même avec ma volonté, mon ego. C’est une sorte de mariage entre le vouloir et le non vouloir (…) Je me sens une expérience. Je ne suis pas tant quelqu’un qui expérimente qu’une expérience. » Sam Francis

EXPÉRIMENTATION

Toute peinture serait-elle de l’ordre d’une recherche, d’une expérience, d’un être-expérience ? Sylvie Mir propose des peintures surprenantes par leur mélange de simplicité et de subtilité. Quand elle a partagé, au printemps 2022, les moments d’accrochage de trois de ses diptyques dans l’exposition Pas si simple, que j’ai organisé avec Jacques Pierre à l’Atelier du Hézo art contemporain, je me suis interrogé sur la manière dont elle avait mené, depuis une dizaine d’années, ses peintures vers toujours plus de simplicité, en épurant plages colorées et gestes. L’effet des diptyques de Sylvie Mir, en jouant de la coupure et de la liaison, provoque une réaction du spectateur par un : Pas si simple ! Car paradoxalement cette simplicité, par condensation et extension, redonne une complexité à sa peinture.

RECOMPOSITION

Une fois captée cette impression de troublante simplicité, la peinture de Sylvie Mir développe une gamme de couleurs chaudes : sable de la toile écrue, blanc lumineux du Gesso, plages de couleurs ocre chair rehaussées de coulées linéaires d’un rouge coraillé. Réminiscences d’un voyage en Inde ou échos de sa région méditerranéenne ? Ainsi, elle qui a été formée, aux Beaux-Arts et à l’Université à Perpignan et à Aix, dans une région fortement marquée par les artistes-acteurs du groupe Supports-Surfaces dans les années 80 -Valensi, Arnal, Viallat, Dezeuze par exemple- aboutissant parfois à des expériences élémentaires, comment résout-elle par recomposition cette question de la dé-construction de la peinture ?

RÉUNION

Elle pratique une peinture d’après le collage, le montage ou l’assemblage. Du collage -cette invention majeure de l’art au XXe siècle depuis Rodin et Braque-, elle travaille l’espace feuilleté comme une superposition de calques, qui laissent comprendre la succession des actes, commencés cette fois en amont de l’acte de peindre. Ce ne sont plus seulement les couleurs qui s’empilent par recouvrement sur la toile mais bien les toiles elles-mêmes au sol de l’atelier les unes sur les autres en escalier pour y tracer une marque à l’aérosol ou au pinceau dans une gestualité échevelée que l’éparpillement des supports retrouvant l’intégralité de leur surface visible va transformer en fragments comme dans un collage. Ainsi elle : « ouvre l’espace peint lorsqu’on déplace les formats et coupe le tissu pictural. » Au final, elle réunit en duos ou en trios l’ensemble des formats marqués, créant des retards dans l’acte de peindre, décomposé en plusieurs temps par la réserve et les caches.

DISPOSITION

Mais ensuite comment disposer, reconstruire ces fragments ? Ecoutons Paul Valéry  parler de deux manières de disposer les objets sur sa table de travail : « Je mets là ce livre, je regarde mes objets familiers, je me caresse le menton ; je feuillette ce cahier. Et tout ceci se passe sans empêchement, comme librement -comme si c’étaient des évènements séparés, indépendants, séparés par le vide, et comme cela sans action les uns sur les autres (…) Mais je puis tout à coup voir tout autrement, vouloir voir que tout ceci se tient comme les engrenages d’un mécanisme, les compartiments d’un parquet -et que chaque modification est radicalement une substitution- comme dans un liquide une molécule ne se déplace qu’une autre ne la remplace. » Le jeu que mène chacun, chacune d’entre nous, avec la disposition des objets qu’il a sous la main, le jeu des objets qu’il déplace dans son espace intime notamment, est le même jeu que l’écrivain ou le peintre animent avec leurs objets particuliers. Il y aurait là une petite science de la disposition familière. Cette approche a déjà été analysée : Etienne Souriau l’a baptisée diacosmétique, c’est-à-dire l’art de placer des objets préexistants -comme ici les toiles pré – peintes de Sylvie Mir. L’attention à leur plateau de travail, au potentiel matériel rapprochent l’écrivain et la peintre et dégagent deux modes de voir et de sentir ; soit par l’intervalle qui relie des objets entre eux, soit par un suspens d’objets indépendants dans le vide. Sylvie Mir utilise conjointement ces deux modes de déplacements avec son procédé de coupe et de jonction, qui crée un instrument pictural d’extension de la surface.

JUXTAPOSITION

Cette construction de la surface quand Sylvie Mir juxtapose ses toiles en duos ou en trios, est gage de mobilité. Contrairement à toute situation où le support est donné (murs, fresque, toiles tendues sur châssis) l’addition de supports flottants en extension-réduction met en cause toute fixation préalable du support. Par assemblage Sylvie Mir indique la possibilité ouverte de continuation de la surface picturale à l’extérieur des panneaux. La peinture ne serait plus ainsi dans le fantasme de l’unité de lieu, d’espace et de temps, mais la traversée d’un lieu à la fois divisé et lié, unique et multiple, mettant en crise l’objet singulier car dissocié qu’est le tableau. Sylvie Mir, en joignant ses diptyques par des croix rouges en x ou par des chevilles picturales autant que par des oppositions dans ses triptyques, multiplie les processus d’extension. « La dissociation est mon moteur » : dit-elle, mais aussi la juxtaposition et l’accommodation. La peinture, depuis son origine, n’est-elle pas une obstétrique des surfaces, une parthénogenèse ?

EXTENSION

Nait une peinture en expansion qui dans son processus se contracte pour mieux se dilater ; une peinture qui semble mimer le processus vital ; celui de la respiration, où nous remplissons nos poumons par inspiration pour procéder ensuite à une expiration.  La peinture s’inspire en elle-même et va chez Sylvie Mir se trouver expirée, mise en expansion dans son exposition. Déjà Pierre Bonnard disait : « Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture. » C’est là, peut-être, la véritable extension de la peinture ?

 

François Jeune peintre, professeur émérite de l’Université Paris 8 Vincennes à Saint-Denis

Paul VALERY, Le vide et le plein, Mélanges, Œuvres, Paris, la Pléiade, Gallimard, t I, p. 320.

Galerie Borromée, 224 Impasse du pigeonnier 24370 Simeyrols

Visite sur rendez-vous au 06.24.56.28.49

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