Exposition Natasha Caruana « Together at Last » – Pessac

Natasha Caruana « Together at Last »
Du 27 avril au 18 juin 2022 – Vernissage jeudi 7 avril à 19h
Ne pas distinguer la femme de l’œuvre
« Natasha Caruana s’intègre à cette mouvance d’artistes qui font de leur existence le support de leur production artistique. L’artiste britannique a pris cette direction dès le début de sa carrière. En faisant de chaque étape de sa propre histoire un prétexte à la création, elle construit son œuvre autour des thèmes de l’amour, de la trahison, de la remise en question du couple, à mesure que sa vie s’écoule et à l’aune de ses propres expériences. Autobiographie ou autofiction, difficile de démêler le vécu du provoqué, ici c’est la vie qui inspire l’œuvre qui inspire la vie qui inspire l’œuvre…
Par l’image photographique, la vidéo et quelques fois par l’installation, Natasha Caruana nous entraîne dans les tréfonds de son intimité. Parfois contraint, le visiteur se meut en spectateur poussé aux limites du voyeurisme. Pris à parti de son introspection, il devient le témoin-confident de ses doutes. Adepte de l’appareil jetable, du petit compact argentique, Natasha Caruana met au service de sa narration une esthétique brut, parfois crue qui se veut aussi sincère que généreuse. La photographie, médium de la vérité et du mensonge, sert depuis presque vingt ans sa ferme intention de dissoudre la frontière qui distingue les sphères privées et publique. Les outils du web, les captures d’écran et autres applications ont depuis quelques années démultiplié ses possibilités en lui offrant une palette 2.0 plus adaptée à son processus de travail.
Together at last regroupe plusieurs séries présentées selon une chronologie imposée par les événements. L’une après l’autre, on découvre les tribulations de l’artiste dans une quête somme toute banale et légitime de bonheur conjugal, où Simon, l’époux et muse, devient malgré lui la pierre angulaire d’une œuvre en train de se faire.
Il y a l’avant, où chacun de son côté, les deux futurs époux ont cherché dans leurs relations précédentes respectives l’éventualité d’un amour éternel. Un peu plus âgée qu’elle, Simon a convolé en premières noces. De cette vie avant elle, Natasha Caruana retient le rituel de l’enterrement de vie de garçon ou tout du moins le produit photographique issu de cet épisode traditionnel. A partir du seul album et sans intervention particulière, elle fait émerger le caractère tribal et humiliant de cette réunion d’amitiés viriles, prétextes à l’ivresse et à la grivoiserie. S’en suit Love Bomb, où l’artiste lui oppose son propre passé. Ici, elle synthétise l’échec d’une relation précédente dont elle parle par métaphores et détournements via les recettes illustrées de philtres d’amour mêlées insidieusement à celles de bombes DIY.
Il ne pouvait en être autrement : l’arrivée de Simon dans la vie de Natasha Caruana le propulse instantanément dans le rôle principal de sa production. Le démarrage éclair de cette nouvelle relation aboutit inévitablement à un projet de recherche sur le « coup de foudre ». Entre l’étude de données scientifiques et la collecte de témoignages autour de ce phénomène inexplicable, Natasha Caruana produit un corpus de portraits et s’inclut à la série ainsi que son fiancé.
Elle finit par l’atteindre ! Le bonheur est entre ses mains lorsque la relation avec Simon évolue en mariage. Mais l’artiste ne peut se résoudre à la félicité. Comme celui qui fuit l’engagement par peur de l’ennui, Natasha Caruana fuit l’inertie par crainte de ne plus avoir matière à créer. S’en suit un travail de fond sur le divorce, représenté ici par une installation étonnante et originale : un rideau conçu à partir de 1607 alliances chinées, trouvées, achetées, stigmates d’autant d’histoires d’amour révolues et de mariages qui ont mal tourné.
Et puis il y a l’homme marié, la scorie qui pointe dans l’œuvre aussi régulièrement que dans les pensées troubles de son auteur. La muse noire, le petit démon sur l’épaule qui susurre. Cette ombre omniprésente sera le sujet du dernier travail en date. Une pièce vidéo complète une série d’images dont la linéarité suit le fil d’un scénario rocambolesque à base de peau, de tracking et de chambre d’hôtel.
Si l’œuvre de Natasha Caruana se concentre sur son intimité, elle n’en est pas moins une sorte de miroir tendu, à l’image de celui qui compose l’installation centrale de l’exposition. Cet objet équivoque et symbolique porte en lui tout l’attachement de l’artiste à nous convier dans son monde autant qu’à nous faire réfléchir sur notre propre rapport aux autres.
Il n’est pas de plan de carrière chez Natasha Caruana mais plutôt des plans de vie, qu’elle convoque parfois et qui de temps à autre la rattrapent. Ce qui compte c’est la transformation de ce vécu en œuvre dont la mythologie amoureuse demeure le centre de gravité. Ses explorations et ses recherches font écho au fonctionnement d’un système qui, par la force du digital, réduit de plus en plus le spectre de la vie privée. Sa démarche volontairement exhibitionniste nous questionne et nous renvoie aux travers de notre société du tout-visible.
Together at last est une histoire qui semble bien se finir si l’on considère l’espace d’exposition comme le territoire délimité du récit. Car évidemment mouvante et surprenante comme l’existence, il n’y a de suite et de fin chez Natasha Caruana, que celle que la vie elle-même aura décidé. »
Audrey Hoareau, février 2022
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