Exposition Épochè (maintenant) – Marseille

Épochè (maintenant)
Du 27 mai au 23 juillet 2022 – Vernissage jeudi 26 mai à 18h30
épochè (maintenant)
« La complète incertitude quant à ce que le prochain jour, la prochaine heure va apporter domine mon existence depuis bien des semaines.
Je suis condamné à lire chaque journal (ils ne paraissent plus ici que sur une feuille) tel un arrêt dont je serais le destinataire et à entendre dans chaque émission de radio la voix du messager de malheur. » (lettre de Walter Benjamin à Theodor W. Adorno, le 2 août 1940).
Joan Ayrton | Cécile Beau | Leïla Brett | Anne-Lise Broyer | Charlotte Charbonnel | Sépand Danesh | Marina Gadonneix | Anne-Valérie Gasc | Agnès Geoffray | Marco Godinho | Benjamin Laurent Aman | Benoît Maire | Estefania Peñafel Loaiza | Aurélie Pétrel | Katja Schenker | Suspended Spaces | Raphaël Tiberghien | Arnaud Vasseux | Emmanuel Van der Meulen | Virginie Yassef
Circonscrivons un espace et un temps qui soient ceux de la suspension. Suspension du jugement, de la catastrophe, du flux temporel.
Une épochè.
Le mot épochè. Tout d’abord, une montée, une tension et une accélération, un élan en somme. Puis, quatre lettres, distinctes, rapides, et diffuses, le son précis d’une goutte dans l’eau.
Enfin, retombée de l’élan, dépression, arrêt.
Entre la montée et la redescente, l’ouverture et la fermeture, quelque chose est advenue, un moment, suspendu, un instant. Une saccade ou encore une fulgurance.
Tout un vocabulaire s’agrège soudain à cette suspension que le mot représente tout d’abord visuellement et que son sens confirme. En grec, en effet, l’épochè signifie « cessation, interruption, arrêt ». En philosophie, il désigne la suspension du jugement.
Le terme apparaît en Grèce, au troisième siècle avant J.-C., chez Arcésilas de Pitane (chef de la 2e Académie de Platon), pour désigner l’attitude du sage qui ne doit ni affirmer, ni infirmer, ni approuver face à des arguments opposés. L’épochè consiste alors à suspendre son assentiment. Le terme est repris par Sextus Empiricus, au IIIe siècle, et désigne l’attitude du sceptique. L’épochè est la suspension du jugement, autrement dit, le refus de donner son assentiment soit à la raison, soit à l’imagination.
Au début du XXe siècle, la notion est réintroduite par la phénoménologie à travers
Edmund Husserl. L’épochè a chez lui un sens philosophique majeur. La suspension du jugement est une opération philosophique de lointaine origine cartésienne qui permet de s’extraire du monde pour atteindre à la conscience pure, à l’égo transcendantal. Il s’agit de mettre le monde entre parenthèses, de s’abstraire de ses phénomènes, pour mieux le contempler et le penser. Parce que, pris dans le tissu du monde, je ne peux ni le voir ni le penser : il me faut m’en extraire. Cette épochè est une tactique, une réduction du monde au je.
La mise en suspens phénoménologique est aussi un pas de côté par rapport au réel : mise entre parenthèses de nos connaissances, des idéologies, des actions et du temps.
La suspension du jugement, l’épochè, est une pratique de la liberté, un désengagement qui est engagement, qui est action. Si elle éloigne tout investissement réflexif, elle ne supprime pas la perception sensible, elle permet au contraire d’en user pour explorer l’apparition des phénomènes du monde. Elle est, au fond, un espace pour penser, pour penser autrement le monde autour de nous, ce monde fait de trajectoires, de flux, entraîné sans cesse dans le chaos, le grouillement et les gesticulations.
Suspendons, dès lors, le jugement, le mouvement incessant des vérités et des contre-vérités, des affirmations, des opinions, des arguments ; mettons-nous en retrait, retirons-nous en créant un espace vide pour le monde à venir (c’est ce que fait
Dieu, dans la tradition cabaliste, pour créer le monde). À l’image du jardin suspendu, mythe ou imagination, nous délimitons un ici et un maintenant, une « collectivité en paix dans un monde en guerre1 » pour reprendre la formule qu’énonce Roland
Barthes pour parler de l’espace du séminaire, justement lieu suspendu. L’épochè est un dessaisissement de l’emprise du monde, l’ouverture d’un espace de création.
Commissariat : Sally Bonn
Galerie des grands bains douches de la Plaine Art cade, 35 bis rue de la Bibliothèque 13001 Marseille.
Tél. : 04 91 47 87 92 Du mardi au samedi 15h-19h