Djamel Tatah, Le théâtre du silence – Montpellier

Djamel Tatah, Le Théâtre du Silence
Du 10 décembre 2022 au 16 avril 2023
Le Musée Fabre à Montpellier est heureux de proposer aux visiteurs, pendant tout l’hiver prochain, une importante exposition monographique dédiée à l’artiste Djamel Tatah. Cet événement réunit non moins d’une quarantaine de toiles au format souvent monumental en s’attachant à mettre en lumière, au sein de cinq sections thématiques, la singularité d’une oeuvre qui confère un rôle majeur à la question de la théâtralité. Des peintures historiques y dialoguent avec des oeuvres récentes, réalisées spécialement pour l’occasion.
Installé depuis 2019 à Montpellier, Djamel Tatah, né en 1959 à Saint-Chamond et formé à l’école des beaux-arts de Saint-Étienne, élabore depuis les années 1980 une peinture d’une grande sobriété, qui place la figure humaine, évanescente, au coeur de profonds aplats colorés. L’oeuvre de Djamel Tatah interroge notre présence au monde, le rapport empathique à l’humanité qui nous entoure.
Composée d’une quarantaine d’oeuvres, l’exposition « Djamel Tatah, le théâtre du silence » dévoile différents moments de la carrière de l’artiste, selon une approche thématique qui explore plusieurs composantes conceptuelles de son oeuvre, nourrie de philosophie et d’histoire des arts – de la peinture jusqu’à la danse, le théâtre et le cinéma –.
Djamel Tatah prélève dans un répertoire d’images photographiques tant personnelles qu’issues de l’actualité, ou de reproduction d’oeuvres, des figures, des attitudes singulières. Celles-ci sont retranscrites numériquement puis projetées sur la toile, élaborées parallèlement à la construction de grandes plages de couleur, développant ainsi une pratique qui met en dialogue l’abstraction et la figuration.
Les personnages des tableaux de Djamel Tatah, devenus anonymes, sont liés les uns aux autres, au sein d’une scénographie qui inclut et confronte le visiteur de ce théâtre où le silence joue un rôle central.
Comme le souligne l’artiste lui-même : « Ma peinture est silencieuse. Imposer le silence face au bruit du monde, c’est en quelque sorte adopter une position politique. Cela incite à prendre du recul et à observer attentivement notre rapport aux autres et à la société. »
Présentée dans les salles d’expositions temporaires du Musée Fabre, l’exposition se poursuivra également dans l’atrium Richier en introduction du parcours des collections permanentes, avec l’installation d’oeuvres gravées réalisées par l’artiste en collaboration avec l’atelier Michael Woolworth.
Aux origines de la peinture
Djamel Tatah réalise dès ses années d’études des œuvres composées de morceaux irréguliers de toile tendus sur des branches d’arbre. En 1986, après plusieurs voyages en Algérie, il fait un bref passage par l’huile sur toile traditionnelle, avant de mettre en place un support qu’il conserve jusqu’en 1996, où la toile vient recouvrir un assemblage de planches de récupération grossièrement équarries, qui créent des bords irréguliers et une rugosité de surface.
Il associe ce support à l’usage de la cire. Cette primitivité des techniques qui accompagne les œuvres des débuts de la carrière de Djamel Tatah va de pair avec l’« archaïcité moderne » de ses compositions, marquées par le primat du dessin et la quête des origines de la peinture par le monochrome, dans la lignée de l’artiste américain Barnett Newman.
Tout comme ce peintre, représentant majeur de l’expressionnisme abstrait des années 1950, auteur de l’essai « The first man was an artist [le premier homme était artiste] » qui l’a beaucoup influencé, Tatah cherche dans son œuvre un « nouveau commencement » interrogeant les origines de la matière et de la représentation picturale.
En suspens
Si dans la première décennie de création de l’artiste, les figures se tiennent majoritairement debout ou assises, hiératiques, on repère dès 1989 l’émergence de corps à terre, étendus en suspension dans la couleur pure, tandis que les vacillements et pertes d’équilibre font leur apparition dans les toiles de Djamel Tatah dès 1998. L’artiste s’intéresse alors à la gestualité des corps, leur mise en suspens, s’inspirant des mouvements chorégraphiques des danseurs. S’il indique que « c’est une forme de disparition de l’être qu’[il] enregistre » au sein de ses tableaux, Djamel Tatah s’intéresse tout autant à la chute, physique, sociale, spirituelle, que chaque homme peut éprouver, qu’à son élévation. Laissant le choix interprétatif aux visiteurs, cet ensemble d’œuvres traduit la quête obsessionnelle d’un temps arrêté, d’une abstraction des corps devenus anonymes, extraits de tout autre contexte que celui de la plus universelle condition humaine.
Le théâtre du silence
Si les figures de Djamel Tatah sont souvent prises dans une forme d’absorbement méditatif, le regard absent, elles semblent également, au sein de certaines toiles, interagir les unes avec les autres, tout autant qu’avec le spectateur. Les images peintes dialoguent entre elles dès leur réalisation par l’artiste qui, au sein de l’atelier, travaille sur plusieurs toiles simultanément, et propose des effets d’écho entre les tableaux.
Néanmoins, jamais narratives, les œuvres de Djamel Tatah réduisent à sa plus simple expression l’attitude des personnages, qui laisse présager une impossible rencontre entre les protagonistes du tableau. L’incommunicabilité semble en effet être au cœur des relations entre les différents acteurs des scènes peintes, ce qu’exacerbe la coexistence de plusieurs espaces distincts au sein d’une même toile.
En outre, l’échelle des tableaux, ainsi que leur mise en scène théâtrale, intègrent la position du regardeur, créant ainsi un corps-à-corps entre l’œuvre et celui qui la regarde. Au sein des toiles de Tatah, les fonds, juxtaposant des espaces monochromes selon une rythmique colorée, créent un découpage narratif, où, à l’image du théâtre de l’absurde de Samuel Beckett, le silence tient une place centrale, loin du tumulte de la vie contemporaine.
Cette vacuité mise en premier plan résonne aussi avec les mots d’Albert Camus, qui écrivait en 1942 dans Le Mythe de Sisyphe : « L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ».
Répétitions
Le principe répétitif est introduit par Djamel Tatah quelques années avant Les Femmes d’Alger, tableau qui exacerbe ce procédé.
La répétition se fait alors de plus en plus présente dans son œuvre, prenant la forme de polyptyques ou de panneaux isolés donnant lieu à des survivances, parfois à plusieurs années d’écarts, créant une généalogie d’une toile à l’autre. Inhérente à son travail, la reprise formelle et thématique « accentue l’idée » comme l’indique l’artiste lui-même : « Pourquoi ce personnage est-il répété plusieurs fois ?
C’est pour accentuer l’idée. Comme dans la musique répétitive, cela devient progressivement lancinant.
Mais c’est une fausse répétition. Tout se passe dans les nuances ». Dans certains ensembles, les formes humaines vont jusqu’à prendre l’aspect d’un motif, maintes fois reproduit, quasi ornemental, et ont par leur enchevêtrement, l’apparence d’une frise. Tout en déréalisant les figures, la répétition affirme la présence des corps tandis que les infimes nuances mettent à mal leur mimétisme : ce sont ainsi et avant tout des foules solitaires qui peuplent les toiles de Djamel Tatah.
Commissariat de l’exposition
Michel Hilaire, directeur du musée Fabre, et Maud Marron-Wojewodzki, conservatrice responsable des collections modernes et contemporaines du musée Fabre
Musée Fabre, 39, boulevard Bonne Nouvelle 34000 Montpellier Tél : +33 (0)4 67 14 83 00