Damien Fragnon & Naomi Maury « Brise Breath Breeze » – Montpellier

Nos langues qui se fouillent

Les installations de Naomi Maury et Damien Fragnon réunies à Mécènes du Sud Montpellier-Sète-Béziers nous embarquent dans une faille temporelle : sommes-nous devant les reliques d’un monde disparu ou devant la préfiguration d’un univers en expansion ? Emprunt·e·s des cycles hydrologiques comme l’évaporation, la condensation, la précipitation, l’infiltration et la réadmission dans les mers et les océans… les céramiques de Damien Fragnon et les exosquelettes de Naomi Maury régénéreraient les eaux affamées, c’est-à-dire longtemps retenues dans les réservoirs et les barrages. Les pièces seraient ainsi des organismes autonomes mousseux, visqueux, poilus, turgescents pour certains… reproduisant les cavités les plus folles. Telles des ouvrières des fonds marins, elles œuvreraient à une re-sédimentation révolutionnaire en faveur d’une liquéfaction des héritages de la modernité (Astrida Neimanis).

Aussi les dessins de Naomi Maury nous détournent-ils de l’imaginaire tayloriste, magnifié par les mouvements avant-gardistes comme le futurisme ou le constructivisme. Les suspensions de circuits métalliques dégingandés mettent à mal la résonance – consumériste – conceptualisée par Gilles Deleuze et Félix Guattari : « La résonance… est la seconde fonction de la famille. La famille est à la fois anus qui retient, voix qui résonne, et aussi bouche qui consomme : ses trois synthèses à elle, puisqu’il s’agit de brancher le désir sur les objets tout faits de la production sociale.»*. De son côté, Damien Fragnon invoque la propriété par le brouillard. Dans sa pièce-protocole Achat de brouillard (2013), il devient acquéreur d’un terrain à la condition que celui-ci soit nappé d’un frog. Un évènement climatique – et poétique – aléatoire qui trouble les lois du capital. Cette inscription politique emprunte, aujourd’hui, le chemin des protocoles non plus de l’art conceptuel mais des recherches alchimiques. Ces dernières s’expérimentent autour du four à céramique ou devant les lignes de codes cybernétiques.

Ces configurations liminaires prennent place dans Brise Breath Breeze. Cette scansion chatouille nos muqueuses buccales, sollicite le bout de notre langue qui colle à la paroi humide de notre émail. La sensualité de ses accents toniques est posée avant même la compréhension de son imaginaire sémantique. Contrairement à la performativité du langage de John Austin – qui a longuement nourri les cours magistraux des gender et queer studies depuis l’académisation des luttes respectives -, le langage, ici, se hume, se respire, s’avale pour s’expérimenter ensemble. Son usage est tout autre, il n’édicte pas d’injonctions normatives mais procède d’une stimulation excitante qui incite à percevoir : le vertige de s’entendre à plusieurs.
 

Cette exposition in situ de Naomi Maury et Damien Fragnon prolonge les expériences autour du consentement curatorial que j’ai proposées aux participant·e·s du workshop 2021-22, un programme dédié aux métiers de l’exposition et initié par Marine Lang pour Mécènes du Sud Montpellier-Sète-Béziers et le centre culturel de l’Université Paul Valéry.
 

Géraldine Gourbe, autrice et curator indépendante

accompagnée des participant·e·s du workshop d’initiation au commissariat d’exposition :
Mikail Askerov, Yiseul Bae, Charlotte Barreyre, Victoria Bathelot, Alice Boyreau, Lisa Combettes, Sylviane Deschamps, Mia Destrebecq, Elea Estella, Camille Fayseler, Marie Féménias, Julie Fohr, Lauris Geoffret, Enzo Grillon, Mélanie Laur, Marie Metaireau, Anna Orlando et Alizée Sabria.